
Valeurs – L’amitié
Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la pratique. Comment ? Nous vous proposons de nous pencher sur cet éventail de plus-values qui font le sel de la discipline. Pour cet ultime épisode, après avoir exploré les notions de sincérité, de respect, de courage, d’honneur, d’humilité, de politesse, de contrôle de soi et de modestie, échanges avec trois pratiquants passionnés qui placent cette vertu au centre du jeu.
Laurent Nigoul, ceinture noire 2e dan, KC Tarasconnais (Ariège)
« Une question de partage »
« C’est sans doute une banalité de le dire comme cela mais, l’amitié, c’est être proche de ceux qui nous tiennent à cœur, dans les bons comme les mauvais moments. Sur le tatami, l’amitié naît d’elle-même. C’est d’abord souvent celle d’un plaisir partagé, simple mais sincère, à pratiquer dans une même vision de la discipline. C’est ce sentiment de confiance réciproque, celui qui permet, chacun à son échelle, de pousser toujours plus loin ses limites, de venir s’entraîner régulièrement, de passer ses grades aussi, avec le sentiment d’être soutenu, accompagné… Concrètement, c’est aussi un facteur de confiance avec celui ou celle qui sert de partenaire, avec lequel on va pouvoir mettre plus d’impact peut-être aussi qu’avec un partenaire « lambda », avec lequel ce lien d’amitié a été moins éprouvé. Travailler avec un ami, c’est une envie, non pas plus forte, mais peut-être plus profonde, de se faire progresser mutuellement en n’ayant pas l’appréhension que notre enthousiasme dans les frappes puisse être mal interprété par notre partenaire d’entraînement. L’ami du dojo, c’est aussi celui que l’on se fait en compétition. C’est selon moi l’une des grandes vertus, notamment par équipes : s’éprouver ensemble, se soutenir, gagner pour l’autre… Connaître cela jeune, ce sont des souvenirs à vie, des souvenirs là aussi partagés. C’est aussi pour cela que même ceux qui ne sont pas compétiteurs doivent vivre l’expérience d’être partenaire d’échauffement, de suivre ses aînés sur les déplacements. La forte culture du karaté par équipes nous offre cette opportunité de lien social qui élève et construit, saisissons-la ! »
Amandine Lafosse, ceinture noire 2e dan, École Luçonnaise de karaté (Vendée)
« Écoute et responsabilité »
« L’amitié ? C’est une forme d’abandon à l’autre, à celui (ou celle) à qui l’on fait entièrement confiance, avec qui la peur d’être trahi ou déçu n’existe pas. C’est celui (ou celle) dont on sait qu’il (elle) ne sera pas dans le jugement mais dans l’écoute, l’empathie. Cela fait une sacrée base de relation sur un tatami et c’est presque inné quand on pratique une activité sportive, à plus forte raison un sport de combat. C’est le fruit de l’investissement régulier à l’entraînement, des heures passées ensemble à travailler et à progresser autour d’une passion commune qui construit un lien fort. Notre discipline, grâce à ses autres valeurs, à la culture de ses valeurs au sein des dojos, par les professeurs et les plus gradés notamment, pousse naturellement à aller vers les autres, à créer du lien, à éprouver aussi que celui-ci ne fera pas partie du cercle de mes amis, quand bien même nous pratiquons régulièrement ensemble, et que je réponds à son invitation à travailler. Pratiquer avec un ami ? C’est génial, c’est vraiment le prolongement de la relation sociale et des moments que l’on peut partager en dehors du dojo, une fois le karategi rangé dans le sac, mais c’est aussi une responsabilité ! Celle d’être à l’écoute, droit, sincère, celle aussi, mutuelle, de se faire progresser l’un l’autre. »
Jean-Marie Granouillet, ceinture noire 6e dan, École Riomoise de karaté (Puy-de-Dôme)
« La confiance totale est là »
« La manière le plus pertinente de définir et de poser cette valeur de l’amitié est sans doute d’en trouver des synonymes. Lesquels ? Fraternité (pas de sang mais de cœur), affection indélébile, camaraderie, alliance, entente, bienveillance, bonté, compréhension… C’est ce que nous disent les dictionnaires. Dans notre pratique du karaté, je pense que cette valeur puissante, une valeur socle de la vie, on peut le dire, existe et se cultive d’abord grâce à de l’honnêteté. Le bon ami, si tant est qu’il y en existe de mauvais, est celui qui se caractérise par un discours et une posture empreints de franchise vis-à-vis de vous-même, vis-à-vis de lui aussi du coup. L’ami, le vrai, n’est pas là pour vous dire ce que vous avez envie d’entendre, mais pour vous donner son point de vue – qui compte pour vous – sans filtre. C’est valable dans la vie de tous les jours. C’est très précieux dans le cadre d’une pratique martiale et sportive, où la notion de progression est, selon moi en tant que professeur, au cœur du discours. L’amitié, c’est de la bienveillance qui n’empêche pas le jugement constructif. En tant que passeur du savoir, l’un de mes devoirs de transmission est précisément de créer les conditions pour que des amitiés puissent voir le jour sur le tatami. C’est un atout incroyable pour se construire soi-même et construire son rapport aux autres. »