Europe jeunes, un succès partagé
La France 1re nation aux championnats d’Europe jeunes la semaine passée avec quatorze médailles dont sept titres, un superbe résultat dont il faut surtout identifier les ressorts : une collaboration aussi étroite qu’inédite entre le staff national et les clubs. Au bout, c’est la jeune garde française qui progresse et qui gagne. Explications.
Avant qu’Amine Hellal, Adam Tadjer et Sidney Yvon, tous trois champions d’Europe, ne remontent sur les tatamis du Karaté Élite Argenteuil jeudi soir dernier, il y avait forcément une petite euphorie dans les vestiaires du dojo Jean Guimier. « L’occasion de partager ce titre avec leurs copains mais aussi pour dire que la saison ne s’arrête pas là », pose Cherif Tadjer, le directeur technique du club qui a prévu un temps un peu plus solennel la semaine prochaine au retour de la Youth League à Dubaï. « Ce que je dirai à ce moment-là ? Sans doute que ce formidable résultat doit inspirer tout le monde. Nous n’avions jamais eu encore de champions d’Europe au club… alors trois d’un coup ! Un résultat formidable mais pas un hasard et c’est ce qui rend ces médailles éclatantes : il y a vraiment eu une gestion remarquable entre le club et le staff national. Un exemple ? Lionel Nardy a proposé des entraînements personnalisés à Adam dans le cadre de la préparation à ces championnats, qu’il me débriefait ensuite. Une initiative complètement nouvelle pour Adam qui ne s’entraîne qu’au club. Il y avait, bien sûr, du travail technique et tactique mais, en fait, ils ont surtout beaucoup discuté : des objectifs, d’être sur la même longueur d’onde. Lionel le suit depuis deux ans et j’ai vu à Tbilissi, lors de la compétition, que la connexion entre eux était excellente. Le reste a suivi… »
Confiance mutuelle
Cécil Boulesnane, l’un des quatre entraîneurs nationaux combat avec Lionel Nardy donc, mais aussi Franck Bisson et Mathieu Cossou, avait la responsabilité d’insuffler cette énergie positive entre tous. « L’objectif était clair : instaurer de la confiance pour ne pas être inhibé par l’événement. Il ne s’agissait pas uniquement de le décider évidemment. Nous nous sommes reposés sur tous les échanges en amont avec les entraîneurs de clubs. Nous étions chacun le référent de sept à huit jeunes que nous avons accompagnés jusqu’au tatami pour les coacher et avec lesquels il y a effectivement eu aussi de très nombreux échanges autour des ressentis, lors des stages, à propos de la gestion du stress… Un suivi qui a créé la connexion qu’évoque Cherif à qui, comme à l’ensemble des autres entraîneurs, nous avons fait des compte rendus des stages nationaux, des recommandations techniques et inversement… Cela devait créer une relation triangulaire et permettre de relayer les bons messages à ces jeunes athlètes dont nous souhaitions d’abord qu’ils s’expriment, qu’ils ne déjouent pas. Tout le monde s’est donné à fond, j’ai vu des jeunes épanouis et le résultat est là. » Professeur de Faith Porquet (Club Sauvegarde de Besançon), championne d’Europe juniors en -66kg, Fodé Ndao, a vu les choses se mettre en place et se félicite également du travail collectif autour de sa protégée. « Le titre de Faith doit beaucoup à ce qui a été mis en place autour d’elle, à commencer par sa détection en minimes. Les liens avec le staff national se sont forgés à ce moment-là. J’échange ainsi régulièrement avec Yann Baillon et Lionel Nardy, son référent en équipe de France : mails, coups de téléphone, sms pour discuter, par exemple, d’une fiche individualisée sur Faith avec ses points forts, ses points faibles et ses axes de travail. Et si je n’ai pas pu me rendre à Tbilissi, j’ai échangé avec Lionel, durant la journée de Faith, sur la tactique à adopter à chaque combat. Je n’ai pas peur de parler de confiance totale. Au final, Faith est championne d’Europe, la Marseillaise a retenti et le club a déjà été sollicité par France 3 pour un reportage afin de mettre en lumière notre dynamique sportive alors que nous nous trouvons dans un quartier prioritaire de la ville. »
Construire pour partager la victoire
Christophe Brondy, professeur de Tom Courtois, benjamin du groupe présent à Tbilissi et qui a ramené le bronze en kata par équipes, livre son analyse. « Les échanges très réguliers nous ont permis de décider d’un projet de performance pour Tom où chacun joue son rôle – entraîneur national d’un côté, professeur de club de l’autre – mais avec un discours commun. Une logique de solidarité, de complémentarité et de cohérence a vu le jour ces derniers mois. Les entraînements de zone mensuels et les stages jouent un rôle fondamental dans ce processus d’entraînement puisque c’est l’occasion pour les entraineurs nationaux de voir Tom et donc de faire un point. Je trouve l’état d’esprit très bon, sans guerre d’ego, avec un respect réciproque. Pour Tom, nous n’en ferons pas trop sur cette médaille même si cela va l’exposer un peu plus car, outre son caractère introverti, ce n’est qu’un commencement, pas un aboutissement. D’ailleurs nous sommes cette semaine à Dubai pour la Youth League, avant les championnats de France qui se profilent. Tout va s’enchaîner très vite et il faut continuer à cultiver la sérénité.» Ayoub Neghliz, patron du kata français qui a pu compter sur l’implication de Lucas Jeannot pour cette préparation et ces championnats, précise les contours de cette étroite collaboration, dessinant un parallèle clair avec les excellents résultats obtenus en Géorgie. « Nous avons beaucoup insisté sur la collaboration. Ceux et celles qui ont réussi sont ceux qui se sont pleinement impliqués, à l’image des deux médailles de Mai-Linh Bui (Annecy), en individuel et en équipes. Nous avons mis beaucoup de choses concrètes en place afin de pouvoir travailler dans le même sens, avec la même exigence et sur les mêmes points techniques. Cette relation que nous avons créée tous ensemble, ce sont des échanges téléphoniques évidemment, des rencontres, mais aussi les séances en stage filmées puis envoyées aux clubs avec des préconisations de travail, puis un retour là aussi vidéo des clubs vers nous… Rassembler tout le monde n’est évidemment pas si facile, mais c’est à ce prix que nous pouvons aujourd’hui partager la victoire et la progression de chaque jeune athlète, pour le placer, c’est l’essentiel, au centre du projet.»
« Un vrai groupe France »
Yann Baillon, le directeur technique national, porte cette nouvelle vision de la performance avec beaucoup de détermination et voit déjà plus loin. « C’est comme cela que j’envisage, avec les entraîneurs, le groupe France. C’est vraiment quelque chose de très fort dans notre vision du karaté français qui gagne. C’est ce que nous avons commencé à construire il y a plusieurs mois. À Tbilissi, il y avait les familles, les entraîneurs de club et le staff national ensemble dans les tribunes. Les professeurs nous ont fait confiance car je pense que nous avons réalisé un important travail de communication en amont. Pour ma part, j’ai aussi insisté sur la place que chacun devait tenir : le professeur est là pour donner des ondes positives, le staff national pour encadrer dans la confiance mutuelle, exit les infos de coaching données tous azimuts et qui perturbent l’athlète, qui doit combattre pour lui-même. Sur ce socle, nous pouvons construire quelque chose de solide. Au-delà des performances, ce qui ressort de ce championnat où nous finissons première nation – ne boudons pas notre plaisir, c’est un sentiment de ”clan France”, quelque chose de fort, un collectif qui fait gagner. J’avais envoyé un email à tous les professeurs et à tous les parents avant la compétition pour leur dire ce que l’on attendait d’eux et que nous allions nous retrouver tous ensemble. Je leur en ai adressé un autre il y a quelques jours pour partager ces beaux résultats et les remercier de l’attitude générale, et j’ai reçu de nombreux retours qui me font dire que quelque chose s’est passé. La suite ? Les mondiaux jeunes de fin d’année seront différents avec une autre intensité, beaucoup d’entre eux qui changent de catégorie d’âge aussi, mais j’aimerais aller plus loin, y compris avec les seniors, avec un club France pour recréer cette entité et pousser les athlètes. J’ai connu cela dans ma carrière et je sais que cela peut faire une vraie différence le jour J. J’ajouterai deux éléments à l’analyse de ces championnats. Le premier concerne la réorganisation du calendrier en amont qui a permis de situer le parcours de sélection entre octobre et début novembre, contre mi-décembre l’an passé. Cela a eu pour effet de laisser davantage de temps à ces jeunes athlètes pour aborder l’événement et s’y préparer. Le deuxième élément, lui, tient à la présence d’Alizée Agier en Géorgie. Sa personnalité et son envie de s’investir ont profité aux combattants, aux techniciens ainsi qu’aux entraîneurs. Dans un rôle de conseil, de confidente, de partenaire d’échauffement, elle a apporté une présence féminine et une compétence remarquée, avec, toujours, la posture juste d’une grande championne qui, je crois, a plu et inspiré beaucoup de nos jeunes. »