Meni Mehabad – « Apprendre à se défendre devrait être obligatoire »
Héritier du grand maître de krav-maga Haïm Zut*, Meni Mehabad était de passage en France il y a quelques semaines pour un grand stage à Châtenay-Malabry. Il a évoqué avec nous comment aborder la notion de défense de soi.
Le krav-maga, simple, direct, et agressif !
« Ce que j’ai aimé dès le début de ma pratique du krav-maga, c’est que c’est direct, centré sur l’essentiel. Quand tu fais autre chose, il y a souvent la compétition, avec ses règles, ses grades, ses catégories de poids et, bien sûr, jamais de combat organisé entre un homme et une femme, entre un adulte et un plus jeune. Mais quand tu apprends à te défendre d’une éventuelle agression, il n’y a pas de règle, pas de cadre, pas la possibilité de choisir un adversaire de la bonne corpulence, et les combats entre un homme et une femme sont malheureusement probables. Il n’y a que la technique la plus précise et la plus pertinente, et qui doit marcher pour tout le monde. Elles sont bonnes pour les femmes, bonnes pour les enfants et elles sont donc bonnes aussi pour les hommes. Mais si l’on doit décrire mon krav-maga, beaucoup de gens vont répondre immédiatement : agressif ! L’idée n’est pas d’être dur avec les corps, mais d’être toujours engagé à cent pour cent. Chaque simulation d’agression doit être faite à vitesse réelle, comme la réponse qu’on lui apporte. L’idée est de se pousser toujours au-delà de la zone de confort, de faire réagir chacun en fonction de son potentiel pour aller toujours un peu plus loin. Il est question de s’entraîner à l’éventualité d’être confronté à ça pour de vrai, et c’est en allant au plus près de l’expérience réelle que l’on s’entraîne, et donc que l’on progresse. Si tu fais lentement au dojo, tu seras lent dans la rue. Si tu es rapide et engagé au dojo, ce sera pareil dans la situation réelle. C’est aussi pourquoi je fais faire du “sparring” chaque semaine. Il faut pouvoir approcher la réalité à l’entraînement, notamment mentalement. »
La self-défense pour les femmes
« J’enseigne le krav-maga aux forces spéciales. Le sujet, c’est de bien comprendre ce à quoi ils sont confrontés pour aller au plus près dans le travail proposé. D’une unité à l’autre, ce sera différent. Mais on m’a aussi proposé aussi d’enseigner à des femmes, et notamment à des femmes qui avaient été agressées. Là, il faut adapter la proposition. Tu vois tout de suite le manque de confiance, parce qu’elles sont des femmes ordinaires, sans qualités physiques particulières, et elles ont déjà subi un traumatisme. Peut-on leur enseigner le krav-maga ? Peut-on leur proposer des techniques de défense personnelle sans leur mentir ? Je sais que l’on peut aider n’importe qui à mieux gérer des situations, ou même à se défendre en cas d’agression. Tu proposes des techniques simples, comme de savoir repousser et, doucement, tu les aides à percevoir que c’est possible, en leur renvoyant un “feedback” positif. Beaucoup n’ont jamais fait de sport auparavant. Ça n’est pas parfait, mais elles se sentent mieux, ça leur fait du bien de pratiquer. C’est déjà une approche. Il y a quelque temps, j’ai vu arriver une femme qui voulait faire du krav-maga. Il y avait quelque chose de bizarre dans sa volonté de pratique. C’était une mère de famille qui n’avait aucune expérience sportive. Elle a fini par m’expliquer qu’elle avait un problème avec son conjoint, qu’elle souhaitait divorcer et craignait qu’il ne devienne violent avec elle. On lui avait conseillé d’aller prendre des cours avec moi… J’ai compris son besoin technique spécifique, je lui ai accordé plus d’attention. Trois, quatre mois plus tard, elle m’a appelé en pleurs, pour me dire que son mari était venu chez elle pour la frapper. Elle n’avait pas réfléchi, elle s’était placée avec les mains devant elle et lui avait dit fermement : “Dehors ! Dehors ! Et il avait renoncé. Elle s’était surprise elle-même”. »
Gagner en confiance
« Des histoires comme celle-là, il en existe beaucoup. Je me souviens, il y a quelques années, d’une mère de famille qui était venue pour me dire que son fils était harcelé et qu’il ne parlait pas à l’école, même s’il était bon élève. Il n’avait aucun contact avec les autres. Il avait treize, quatorze ans. Après un an de krav-maga, l’école l’a appelée pour lui demander ce qu’il s’était passé. Il était devenu plus relationnel, il participait en classe. Il est devenu un excellent pratiquant. Quand il a fait l’armée, il m’a appelé pour me dire qu’il souhaitait enseigner le krav-maga dans sa section et qu’il avait besoin de conseils. Ça m’a tout de même étonné. Ils étaient une cinquantaine d’appelés de son âge. Ce n’est pas facile de s’imposer ça, une prise de parole, des démonstrations publiques. En quelques années, son rapport au monde, à la menace qu’il représente, avait totalement changé. Ça aussi, c’est de la défense personnelle. »
Obligatoire !
« Paris, ce n’est pas Israël et on pourrait considérer que la probabilité d’avoir à se défendre est faible. Mais mon maître disait souvent : “si tu t’entraînes quarante ans dans la perspective d’être agressé et que ça arrive seulement une fois à la fin, ces quarante ans d’entraînement n’auront pas été perdus”. Moi, je dis qu’avant, les gens ne savaient pas nager. Maintenant, c’est obligatoire, parce que chacun d’entre nous va aller à la plage, à la piscine, parce que c’est dangereux de ne pas savoir, parce que c’est agréable d’appendre et que ça change la vie de savoir nager. Savoir se défendre, c’est exactement pareil. Même si vous ne faites pas du krav-maga, il faut faire quelque chose du même ordre. Faites du judo, du karaté, du jujitsu, mais faites quelque chose, car c’est une nécessité nouvelle et ça vous transforme de savoir le faire. Malheureusement, les sociétés sont de moins en moins sûres, la violence faite aux personnes augmente. Et il y a aussi de plus en plus de gens dangereux qui ont appris à se battre. Ils ont des notions de jiu-jitsu brésilien, de boxe thaï, de MMA. Ils n’hésitent pas à sortir des couteaux, même dans les villes d’Europe. Les situations d’agression évoluent et nous devons évoluer avec elles. »
« Si tu fais lentement au dojo, tu seras lent dans la rue. Si tu es rapide et engagé, ce sera pareil dans la situation réelle. »
*Le grand maître Haïm Zut fut le premier diplômé instructeur par le fondateur du krav-maga, Imi Lichtenfeld. Haïm Zut a désigné Meni Mehabad comme l’héritier de ses écoles de krav-maga dans le monde.