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Karaté seniors, le nouvel âge d’or

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La cinquantaine passée, pour certains depuis déjà bien longtemps, ils se pressent assidûment au dojo, semaine après semaine. Pas pour aller chercher leur descendance en karategi à l’issue de leur séance, mais bien pour enfiler le leur, en quête d’exutoire, de compagnie et de santé. Mais aussi de karaté, tout simplement.

« Mes débuts dans le karaté remontent à il y a cinq ans. J’ai poussé les portes du dojo… sur un coup de tête, après avoir lu un article sur le sujet dans le journal local. J’avais du karaté l’image, finalement assez basique, d’une discipline asiatique et de ses valeurs : respect, contrôle de soi, etc. Du coup, je me suis décidée, comme ça, à aller voir. Et, très vite, la pratique m’a plu. » Cette entrée en matière dans le karaté, banale à première vue, l’est beaucoup moins lorsqu’elle sort de la bouche de Colette Fricot, soixante-quinze ans depuis quelques semaines.
Comme une cinquantaine d’autres personnes, c’est à travers les colonnes du Télégramme de Brest qu’elle prend en 2014 connaissance de cette nouvelle séance proposée le lundi matin au Lesneven Karaté-Do Club. Son instigateur, Bernard Paugam, ne s’attendait pas à ce que ce coup de projecteur soit si vendeur. « Tout est parti de mon mémoire, intitulé “Qu’apporte le karaté aujourd’hui ?”, que j’ai présenté en 2012 pour mon examen du sixième dan, situe le professeur finistérien. Deux ans plus tard, arrivé à l’âge de la retraite, j’ai décidé d’aller plus loin en proposant un créneau adapté aux plus de cinquante-cinq ans, que je trouvais mis de côté. Et la semaine suivant la parution de l’article, ce sont vingt-cinq personnes que je ne connaissais pas qui étaient face à moi. Ils sont venus, mais comment les garder ensuite ? je leur ai demandé ce qu’ils attendaient de moi, et la réponse a fusé : “du karaté !” C’était comme si je montais un nouveau club. »

 

Antidépresseur et plénitude

Pour un succès qui ne s’est plus démenti depuis, tant les bénéfices sont innombrables à écouter ces karatékas aux tempes grises. « Si cela aide à faire travailler sa mémoire, puisqu’il faut apprendre et retenir tous les termes techniques japonais, cela m’a aussi apporté de la sérénité, du bien-être, une assurance, liste Colette, qui lorgne déjà sur son deuxième dan, alors qu’elle n’a obtenu sa ceinture noire qu’en juin dernier, avec « une petite larme » à la clé. Le seul fait d’être sur le tatami me donne une sensation de bien-être incroyable, voire parfois même de plénitude. » De six printemps son aînée, Anne Claireaux loue quant à elle le côté « antidépresseur incroyable » de la discipline. « Six mois après avoir débuté, mon mari est malheureusement décédé, mais le karaté m’a permis de garder goût à la vie, de ne pas tomber dans l’isolement grâce au partage intergénérationnel qui règne au club. En séance, je suis libérée de tous mes soucis quotidiens. »

« Avec mes deux assistants, qui ne sont pas de trop pour permettre à chacun de progresser à son rythme, nous sommes là pour les rassurer, les aider à chasser leurs doutes, à relativiser leurs erreurs, analyse Bernard Paugam. La pratique du karaté doit leur permettre de franchir des caps. La confrontation n’a souvent rien d’évident au départ, surtout entre de petits bouts de femmes et parfois de gros gabarits chez les hommes. Mais à force de les mettre en situation, et ce dès la demi-heure d’éveil musculaire qui lance le cours, ils deviennent accros et le lien social recherché par tous se crée. »

Apprendre, comprendre et savoir des choses

« Depuis que j’ai mon créneau seniors, il y a quatre ans maintenant, je dois arriver quarante-cinq minutes en avance pour être le premier au dojo », sourit de son côté Gilbert Leblant, professeur du Karaté Club du Trégor, dans les Côtes-d’Armor voisines, aiguillé par Bernard Paugam lorsqu’il a, à son tour, voulu se lancer. J’avais de plus en plus de quadra/quinqua qui voulaient essayer, mais je ne trouvais pas ça adapté de les mêler à mes créneaux classiques. » Sa campagne d’affichage dans les commerces et cabinets de santé locaux sera là aussi un succès, avec quarante-six nouveaux licenciés recensés à la fin de la première saison. Nous sommes très axés biomécanique, sur la précision de la posture, à privilégier sur tout autre aspect dans un premier temps. L’acquisition des techniques de base est fondamentale, et c’est pourquoi nous travaillons régulièrement les katas, pour offrir chaque semaine une heure et demie de gym douce et de ” Des chiffres et des Lettres” confondus (rires). C’est fatiguant de se concentrer et de bouger en même temps, exigeant même, mais c’est aussi ce qui les fait rester au cours selon moi. Tous sont en demande pour apprendre, comprendre et savoir des choses. » 

« L’idée de surpassement, de perfectionnement constant et d’abnégation me plaît, confirme Francis Corre, soixante-cinq ans. Lors de mes deuxième et troisième années de pratique, il y a eu de la souffrance physique, mais je me suis toujours convaincu d’aller à l’entraînement. Je fais ce que je peux, mais je le fais de manière consciencieuse. Une exigence personnelle qui a joué, je pense, sur mon caractère. Je pense être plus patient, je relativise plus les choses qui méritent de l’être. »

D’une grande utilité pour les clubs

Et si les têtes semblent suivre le rythme pour ces amoureux tardifs du karaté, qu’en est-il de leurs corps ? « À la fin de la première saison, de nombreux maux de dos et de hanche avaient disparu, avance Bernard Paugam, qui a pu compter, comme Gilbert Leblant, sur des praticiens karatékas pour assurer les postures adéquates. La santé et la maîtrise technique doivent être la priorité, loin devant l’efficacité qui n’est qu’annexe puisque ce n’est pas la compétition, ni la volonté de savoir se défendre, qui a conditionné la venue de ces gens au club. Ils sont en revanche tous impressionnants de motivation, comme s’ils étaient là pour rattraper le temps perdu. J’en ai même une quinzaine qui sortent de leur zone de confort en prenant part aux autres créneaux du club. »

C’est ainsi que les ados/adultes de Lesneven voient évoluer depuis deux saisons Anne à leurs côtés. « En pratiquant deux fois par semaine, mes douleurs liées à de l’arthrose dans mes chevilles, genoux et épaules ont diminué, évoque la tonique octogénaire. Et je n’ai même plus besoin de porter ma chevillère désormais ! » Pour Francis, présent trois jours par semaine, c’est son « tonus musculaire » qui s’en ressent. Un bien-être général sur lequel peut compter Bernard Paugam en dehors de ses séances, sans aucune préméditation de sa part initialement. « Avec leurs vécus, ils ont développé de vrais réseaux dans les alentours, connaissent bien le milieu associatif, et sont donc d’une grande utilité pour le club. Grâce à eux, nous avons par exemple mené à bien une opération de sponsoring, pour laquelle ils étaient contents de s’investir sans vraiment avoir à leur demander. Ils font presque office d’appâts également puisqu’il n’est pas rare qu’ils nous ramènent leurs petits-enfants. »

Et ce n’est pas Gilbert Leblant qui dira le contraire. « Sur les cent-cinquante licenciés que compte actuellement notre club, plus d’un tiers sont des seniors. C’est une formidable aubaine à saisir pour les clubs qui souhaitent s’investir auprès d’eux, à qui je conseillerai seulement de bien communiquer en amont pour réussir. » Mieux vaut tard que jamais, non ?

Antoine Frandeboeuf / Sen No Sen

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