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Patricia Chéreau : “Une sensation unique”

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Alors que les Jeux de Tokyo 2020 approchent à grands pas, la FFKaraté vous propose un voyage dans le temps et vous entraîne vingt ans en arrière. À cette époque, entre 1998 et 2000, le karaté n’est pas encore olympique mais une génération exceptionnelle installe la France parmi les meilleures nations de la planète. Pour patienter jusqu’aux JO, nous partons donc à la rencontre de ces champions qui sont montés sur le podium mondial il y a deux décennies.

En octobre 2000, l’équipe de France féminine débarque en Bavière avec le statut de championne d’Europe, un titre acquis cinq mois plus tôt à Istanbul. Les Laurence Fischer, Nathalie Leroy, Patricia Chéreau et Nadia Mecheri assument ce statut en remportant un nouveau sacre collectif, une première à ce niveau pour les filles, là où on avait pris l’habitude de voir briller les garçons (l’or mondial en 1972, 94, 96, 98). À cette époque, Patricia Chéreau possède déjà les couronnes nationale et européenne chez les poids moyens, mais ce sacre collectif va la marquer plus que tout. Dix-huit ans plus tard, c’est avec l’extrême gentillesse qui la caractérise qu’elle nous reçoit dans le dojo qui porte son nom à Montlouis-sur-Loire, son fief en banlieue de Tours, pour se remémorer cette épopée.

Le bonheur est dans les tripes

« La première image qui me revient : c’est le bonheur et l’émotion au moment où le dernier combat s’achève et que ça y est, nous sommes championnes du monde. Cette émotion est telle que j’ai du mal à l’exprimer. C’est une sensation physique, que je ressens dans mon corps et dans ma tête. C’est une joie immense, difficile à situer dans les bonheurs d’une vie, parce que c’est une sensation unique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Ce titre, c’est l’accomplissement d’une histoire que nous avons vécue ensemble. L’histoire de quatre filles qui ont partagé tellement de choses et qui vont jusqu’au bout. Ces souvenirs-là me sont revenus à l’esprit l’été dernier, lorsque les Bleus sont devenus champions du monde de foot. Dans les vestiaires, Didier Deschamps leur a dit ‘‘les mecs, vous serez toujours liés par ça” en montrant du doigt la Coupe du monde. Nous, c’est pareil, nous sommes liées par cet événement, ces émotions ont soudé notre amitié de manière très forte. Nous étions amies avant, mais la médaille a renforcé les liens. C’est comme un couple qui s’aime : il s’aime encore plus avec la naissance d’un enfant, parce que les parents partagent ensemble un bonheur immense. »

Rivaliser avec les garçons

« Si nous avons réussi un tel parcours, c’est aussi parce qu’il y avait une belle émulation avec l’équipe des gars (Boulesnane, Biamonti, Bel-Lahsen, Félix, Baillon, Baldé, Beaudry, Gomis, champions du monde également cette année-là).  C’est à cette époque que garçons et filles ont commencé à s’entraîner ensemble – avant, c’était chacun de son côté ! – et à préparer les compétitions ensemble. Avant le mondial, nous avons fait les stages d’oxygénation avec les mecs, et c’est aussi en amont, dans ces moments-là, que se sont construites nos victoires. Nous étions très soudés mais c’était aussi très dur, parce que les gars ne nous faisaient pas de cadeaux. Déjà, c’était des combattants exceptionnels, et il y avait des personnalités très fortes comme David Félix ou Seydina Baldé. Ils nous taquinaient, nous chambraient sans arrêt. Ça restait sympa mais ce n’était pas facile d’exister à côté de ces mecs-là. Eux enchaînaient les titres et il fallait que nous trouvions notre place. Mais cette petite rivalité nous a endurcies, nous a tirées vers le haut, parce que nous avions nous aussi du caractère et nous n’avions pas l’intention de nous laisser faire. Nous voulions montrer de quoi nous étions capables et ça nous a peut-être permis d’aller au bout. »

Calimero et guerrière

« Nous étions quatre filles très différentes. Notre richesse, c’est que nous avions chacune notre karaté, et j’admirais leurs styles respectifs. J’admirais les Ura de Nathalie, les déplacements de Nadia, sa gestion de la distance, et j’admirais Laurence Fischer lorsqu’elle rentrait sur le tatami : elle avait cette motivation, cette tête de tueuse. Elles avaient toutes une personnalité très forte. Dans ce groupe, au niveau relationnel, j’étais peut-être la plus à l’aise avec tout le monde, je faisais le lien. On m’appelait parfois Calimero parce qu’il m’arrivait de bouder, j’étais un petit peu chiante… Mais sur le tatami, j’étais une guerrière. Que ce soit en individuel ou en équipe, je me donnais toujours à fond. Malgré les médailles que nous avions décrochées en individuel avant, malgré le fait que nous étions championnes d’Europe en titre, personne ne se disait que ça allait être facile. Dans notre esprit, nous devions toujours faire nos preuves. Peut-être qu’inconsciemment le titre européen nous a rassuré, donné de la confiance, mais à aucun moment nous n’y avons pensé pendant la compétition. Nous étions concentrées sur le présent. De la même manière, nous savions que nous avions l’occasion de remporter le premier titre mondial par équipes chez les filles, de marquer un peu l’histoire du karaté français, mais nous n’en parlions pas entre nous. »

La ceinture noire devient blanche

« À Munich, je n’étais pas bien durant la compétition, j’avais beaucoup de stress. J’étais quelqu’un qui blanchissait très vite et j’étais très pâle. La peur de bien faire peut-être. Ce stress a pris le dessus sur le plaisir. C’est l’équipe, les coaches qui m’ont aidée à faire face. Mais ce stress m’a gênée, je n’ai pas pu me donner dans mes combats… et c’est frustrant pour un athlète, surtout quand tu connais tes capacités. D’ailleurs, si j’essaie de revoir la compétition, c’est un peu flou dans ma tête. J’ai dû effacer les mauvaises sensations. Je n’ai pas combattu en finale à cause de ce stress. J’en garde un regret mais je pense que les coaches ont bien fait de ne pas m’aligner parce que, ce jour-là, je n’étais pas au top de ma forme. Je n’ai pas combattu mais mentalement, j’étais avec elles. C’est difficile à expliquer, c’est viscéral, mais les filles savaient et sentaient que c’était comme si j’étais sur le tapis. Ce titre de championne du monde a été, je pense, un déclic pour la suite de ma carrière. Même si j’étais déjà championne d’Europe, j’avais besoin d’avoir un peu plus confiance en moi, et cette victoire me l’a donnée. J’ai pris beaucoup de maturité et appris à me libérer de ce stress. »

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