
L’art et la manière selon Alexis Fréchin
Paroles de prof – Pratiquant acharné, enseignant passionné, Alexis Fréchin est une référence en kyokushinkai, école dont il est aujourd’hui 5e dan. C’est au Thillot, petite commune des Vosges, que ce professeur de quarante-six ans transmet son savoir, dans des cours où l’exigence technique n’empêche pas le plaisir. Bien au contraire.
Pratiquer dans l’esprit de l’art martial, encore et encore. L’étudier, le tourner dans tous les sens, l’examiner et se jeter dedans à corps perdu. Ou plutôt à corps maîtrisé. Car la maîtrise technique, c’est la première chose qui revient quand on lance le nom d’Alexis Fréchin à ceux qui le côtoient. « Désormais, c’est moi qui vais à ses cours car il est devenu bien meilleur que je ne le suis », rigole Hubert Gégout, professeur expérimenté, 4e dan, qui a initié l’intéressé au karaté.
Alexis Fréchin a débuté le Kyokushinkai en 1990, à dix-sept ans. Sa première entrée dans un dojo a été un déclic. Pratiquant, il n’a jamais trop goûté à la compétition ni au karaté sportif. « Ce qui me passionne, c’est le karaté martial, la partie immergée de l’iceberg, détaille-t-il. Il y a tellement à faire, à découvrir, et on peut pratiquer jusqu’à son dernier souffle. La recherche sur le corps humain, comment être le plus efficace possible, c’est beaucoup plus important pour moi. »
Une exigence qui transpire de la peau du sensei de quarante-six ans, cheveux courts et barbe poivre et sel. « Quand je suis arrivé au club, je me suis tout de suite rendu compte que le garçon était hors norme, s’étonne encore Pascal Leduc, devenu depuis président du Kyokushin Karaté Le Thillot. Il a beaucoup approfondi sa pratique et possède une rare maîtrise de la technique. » « Quand il prépare un grade, impossible de le sortir de ses bouquins ou d’Internet », complète Hubert Gégout.
Une vocation d’enseignant
Cette quête du geste parfait, Alexis Fréchin la poursuit effectivement à travers ses innombrables lectures, mais aussi ses voyages et les stages qu’il fréquente. Le kyokushinkai, cette « école de la vérité » où les coups sont portés mais les frappes de poing au visage interdites, il l’aime et œuvre pour elle au quotidien, sans pour autant la mettre sur un piédestal – « il n’y a qu’un seul karaté », souffle-t-il – ni s’interdire des incursions dans d’autres disciplines. « J’ai fait du judo, du kung-fu, de la boxe… En tant qu’élève, je laisse mon savoir à l’entrée, je prends tout ce qu’il y a à apprendre, et je repars avec un bagage technique en plus, que ce soit une façon d’enseigner ou une technique. » Avant de rendre accessible ce nouveau savoir aux élèves de son club. « Il nous donne envie par la maîtrise de son art, admire Pascal Le Duc. Le moindre geste, dans la moindre technique, tout est décortiqué. Il explique tout. »
Chez Alexis Fréchin, l’absolue exigence technique s’accompagne d’un don naturel pour la transmission. Il a commencé à encadrer des plus jeunes que lui adolescent, lorsqu’il jouait au foot, puis dès sa première expérience sur les tatamis, où il aidait son professeur d’alors. « Je suis persuadé que l’enseignement est une vocation. C’est là-dedans que je me sens bien, que je me sens moi-même. » Une passion qui le suit jusque dans sa profession : formateur à l’AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) à Mulhouse, il accompagne et aide des demandeurs d’emploi, souvent très éloignés du monde du travail à cause de toutes sortes de problèmes, à se réinsérer.
Même bienveillance quand il se place au centre du tatami rouge vif du Thillot et que ses paroles résonnent contre les vastes poutres qui coiffent le dojo. « Il est très présent, très à l’écoute, et répond à toutes vos questions, apprécie Laurent Romary, l’un de ses élèves. Il est souriant et vous donne confiance en vous amenant à découvrir vos points forts et à vous appuyer dessus… ce qui ne veut pas dire qu’on ne travaille pas nos points faibles, au contraire. »
Des amis plutôt que des clients
C’est ce goût pour la transmission qui l’a conduit à lancer, diplôme d’instructeur fédéral en poche, son propre club en 2006, au Thillot, sa petite ville de toujours (3 500 habitants), là où il a grandi et s’est éveillé au kyokushinkai. « Le karaté, c’est comme un outil pour rencontrer des gens. Je conçois le club presque comme une deuxième famille. J’apporte des choses à mes élèves, mais eux me rendent tellement », savoure-t-il. Treize licenciés la première saison, vingt-six la deuxième. L’association est, un temps, montée à cent quarante pratiquants, avant de se stabiliser autour des quatre-vingts aujourd’hui (un tiers enfant, un tiers ado-adultes, un tiers body karaté).
« On se voit beaucoup après les entraînements. Quand quelqu’un fête son anniversaire, chacun ramène un truc pour le célébrer », raconte Laurent Romary. « Alexis est quelqu’un de fidèle à ses amis et à son club, toujours présent… un mec bien », abonde Hubert Gégout. « J’ai toujours voulu être bénévole, confie l’intéressé. Je n’ai jamais voulu faire ça de manière professionnelle. On est dans une petite vallée, une petite commune… Se professionnaliser, ça voudrait dire s’expatrier dans une grande ville pour avoir plein de licenciés, pour en vivre, et le rapport avec les gens n’est plus le même. Je n’ai jamais voulu avoir un rapport financier avec les gens, je n’ai jamais voulu avoir en face de moi des clients… J’ai en face de moi des copains, maintenant des amis. »
Un jeune sensei qui est loin d’avoir fini son voyage.