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Masao Kagawa “hinkaku”, la beauté intérieure

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Charismatique et puissant, Masao Kagawa, né en 1955, est une légende de la JKA, dont il fut l’un des grands combattants, avant d’être considéré comme l’un de ses instructeurs les plus brillants. Devenu maître instructeur et 9e dan de la Japan Karate Shotorenmei (JKS) qui a formé près de la moitié des combattants actuels du Japon, il est désormais l’un des hauts responsables de l’équipe nationale japonaise. Son message tient en deux mots, lourds de sens : « kokoro » et « hinkaku ».

Comment et pourquoi avez-vous commencé le karaté ?
J’avais 17 ans, je ne pratiquais pas, mais mon frère, de dix ans mon aîné, était fort. Pour sa dernière compétition au Budokan à Tokyo – un lieu très important pour les pratiquants, et où auront lieu les compétitions de karaté et de judo pour les Jeux olympiques de Tokyo en 2020­ – il m’a demandé de venir. Quand je l’ai vu gagner le titre national, lui qui faisait moins d’un mètre soixante, j’ai vraiment été ébloui. Un si petit bonhomme capable de telles choses ! Quand nous sommes rentrés à Osaka, notre ville natale, je lui ai demandé de m’enseigner le karaté.

Comment cela s’est-il passé ?
À cette époque, c’était très dur. Aucun homme normal n’aurait pu y résister ! Et avec mon frère… c’était pire. Nous étions une trentaine à vouloir bénéficier de son enseignement, d’autant plus que c’était gratuit. Quand il a demandé : « Êtes-vous vraiment prêt ? », je n’ai pas compris. Plus tard, j’ai vu ce qu’il voulait dire ! J’ai cru plusieurs fois qu’il essayait de me tuer. Au bout de quinze jours, tout le monde était parti. Il ne restait plus que moi. Au bout de six mois, je n’avais encore pas fait un kumite. Mais, un 24 décembre, c’était l’anniversaire de ma sœur ainée, je me suis rendu au dojo pour m’entraîner et mon frère se trouvait là. Il m’a dit : « kumite ». On a commencé tranquillement, mais comme je manquais de technique et que j’avais peur, je l’ai accidentellement touché aux yeux dans un geste de défense. « Ah c’est comme ça ! Alors on commence… » et il m’a frappé en plein visage ! Il m’avait cassé le nez et j’ai saigné longtemps. Quand on est sorti, il a fallu aller chercher le cadeau pour ma sœur, des gants, car il faisait froid. Je me suis vu dans la vitrine… complétement déformé, le visage tout enflé ! Au retour, la famille s’est affolée, j’ai dit que j’étais tombé de vélo, mais tout le monde a compris. Ma sœur a crié après mon frère, qui a simplement répondu : « C’est normal, c’est le karaté ». Je m’en souviens comme si c’était hier !

Photo : Denis Boulanger

Vous avez eu de prestigieux professeurs. Pouvez-vous nous dire l’essentiel de ce qu’ils vous ont appris ?
Mon frère… c’est « Konjo », les « tripes » ! La détermination, le courage, le renforcement du ventre. Après lui, je n’ai plus jamais eu peur en karaté. La peur, je l’ai traversée avec lui. Ensuite, à l’Université, Abe Sensei m’a fait faire beaucoup de kihon kumite, une excellente base pour la suite. À la JKA, il y avait beaucoup d’instructeurs autour de lui, mais Nakayama Sensei nous a amenés à comprendre qu’avant d’être des instructeurs techniques, il fallait être un homme de qualité, capable de relations sociales. Il m’a beaucoup appris. Enfin, Asai Sensei m’a transmis la façon de bouger et de frapper sans la force musculaire, en partant des appuis au sol et en gardant les articulations souples. Il disait que le poing et tout le corps devaient être comme un fouet.

Vous avez quitté la Japan Karaté Association (JKA) avec Asai Sensei pour fonder la Japan Karate Shotorenmei (JKS). Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de cette rupture ?
Asai Sensei était l’instructeur en chef à ce moment-là, quand, en 1990, l’organisation de la JKA nous a expliqué que ce ne serait plus le cas dans le futur. À nos demandes d’explications, il a été répondu que les raisons seraient données plus tard, ce qui ne fut jamais le cas. Pas de raison apparente, aucune explication… j’ai jugé que ce n’était pas normal et nous fûmes huit instructeurs à le suivre. Depuis la mort d’Asai Sensei, je dirige la JKS avec, comme idée dominante, de ne plus séparer comme deux voies parallèles le karaté sportif et le karaté traditionnel. Dans notre école inspirée par le style brillant d’Asai sensei qui permet d’élever constamment le niveau, ces deux voies n’en font qu’une.

Ils étaient plus de 400 le week-end dernier lors du stage à Paris. Photo : Denis Boulanger

Vous êtes considéré comme un grand technicien. Que pensez-vous que le karaté vous a appris de plus important et comment pensez-vous encore évoluer dans l’avenir ?
Un grand technicien ? Je n’ai jamais pensé ça ! Je ne suis jamais satisfait de moi et, avec l’âge et les vieilles blessures, j’ai beaucoup régressé alors il faut que je travaille d’autant plus. Ce que la compétition m’a appris, c’est que si l’on peut y gagner de l’honneur, c’est aussi beaucoup de responsabilités vis-à-vis de ceux qui nous entourent. Cette responsabilité pousse à s’entraîner plus fort et c’est un sentiment qui m’anime toujours. Être fort, ce n’est pas seulement ça… Ce sont les valeurs que l’on défend et les qualités qui finissent par nous définir. L’entraînement m’a construit en tant qu’homme et bien sûr, c’est ce qui compte. Alors je compte bien continuer. Il y a quelques années, je me disais que je serais le premier octogénaire à pouvoir faire encore mawashi-geri. Maintenant, je pense que ce sera jodan-mawashi-geri ! Tant pis, ce n’est pas grave. Ce que le karaté m’a appris, c’est de ne jamais arrêter, même dans la difficulté. Pendant la période très dure de notre conflit judiciaire, des années où j’ai dû faire face aussi à la mort de mon épouse, c’est le karaté qui m’a permis d’oublier. Les meilleurs moments sont les moments de l’entraînement. Mon cœur en sort lavé.

Photo : Denis Boulanger

Vous serez derrière l’équipe japonaise pour les Jeux de Tokyo, qu’en attendez-vous et que pourriez-vous dire aux karatékas français ?
Mon message global à l’équipe du Japon, c’est « kokoro », montrer de la détermination, mais aussi un front calme et serein dans la victoire comme dans la défaite, dans l’esprit zen. Bien sûr, les médailles seront importantes mais, pour nous, l’essentiel sera de rappeler aux Japonais eux-mêmes, quand ils regarderont la télévision, que le karaté existe et n’est pas ce qu’on en dit encore parfois. Ce sera une belle promotion pour notre discipline. Les karatékas français ? J’ai rencontré le président Francis Didier, qui connaît mieux la tradition japonaise que les Japonais eux-mêmes, alors je n’ai pas grand-chose à leur dire ! Disons que je leur souhaite de pouvoir faire comme le judoka Anton Geesink lors des Jeux de 1964 à Tokyo déjà. Il gagne devant les Japonais et lorsque les supporters ont tenté d’envahir le tapis, il les a repoussés d’un geste. Plus que la victoire peut-être, c’est cette marque de dignité qui a marqué nos esprits pour toujours. Le soir devant les médias, il a déclaré que s’il avait gagné contre les Japonais, c’est qu’il était devenu plus Japonais qu’eux. C’était vrai en quelque sorte. Nous disons « hinkaku », qui évoque la dignité, la beauté, l’élégance. Nous pensons que chaque difficulté surmontée à l’entraînement nous fait passer dans une dimension différente, qui finit par se voir. J’hésite à en parler car cela ne se cherche pas ! C’est une conséquence. Il y a des milliers de combattants en sumo, mais il n’y a qu’un Yokozuna. C’est celui qui est le plus fort, mais aussi celui qui incarne le mieux cette aura. L’entraînement appartient à tout le monde. Ce qu’il nous apporte aussi.

Propos recueillis par Emmanuel Charlot / Sen No Sen

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