T. Nagura : « L’équipe du Japon de demain sera beaucoup plus forte »
Nagura Toshihisa, japonais, membre de la Japan Karaté Association et Secrétaire Général de la Fédération Mondiale de Karaté. Il est le « Monsieur Karaté olympique Tokyo 2020 » et nous a dévoilé les bonnes raisons qui peuvent faire aboutir cet incroyable projet (voir la 1ère partie de cet interview). Mais où en est le karaté japonais ? A-t-il évolué ? Est-il prêt pour l’aventure olympique ? Nous lui avons aussi posé la question.
FFKaraté : Il y a quelques décennies, le karaté a sans doute raté l’aventure olympique car le karaté japonais était divisé sur la question. Où en est-il aujourd’hui ? Et plus généralement comment le karaté est-il perçu au Japon ?
Vous me posez la question de la façon dont le karaté est perçu désormais au Japon : l’exemple de notre candidature pour les Jeux de 2020 est significatif. J’ai rencontré notre Premier Ministre Shinzo Abe, et il est tout à fait positif vis à vis de notre discipline qu’il connait. Il y a des associations qui se sont constituées, et même dans notre assemblée nationale des groupes qui font une demande officielle pour que le karaté soit aux Jeux. Nous avons une pétition de soutien qui rassemble plus de 700.000 signatures. Dans les quatre hommes clés pour emporter cette décision, il y en a deux dont le fils pratique le karaté ! Le Maire de Tokyo, Monsieur Masuzoe, et le Ministre des Sports, Monsieur Shimamura.
FFK : Mais l’organisation du karaté japonais est-elle totalement prête ? Quelle est sa position vis-à-vis du karaté sportif ?
N. T. : Nous avons progressivement pris conscience que le karaté japonais devait changer, aller dans la bonne direction. À la JKA nous pensons que le karaté est à la fois un art martial, un système de défense personnelle et un budo, qui est la recherche de la parfaite combinaison de l’esprit, de la technique et du corps. Cela nous ne l’avons jamais oublié, à partir du message originel de Gichin Funakoshi, et nous ne l’oublierons jamais. Mais nous devons aussi aller vers l’émergence d’un grand sport et il n’y a pas de contre-indication. Il faut reconsidérer cet imaginaire qui place le budo en haut, dans des sphères supérieures, et le sport en bas. C’est une idée fausse. Il faut au contraire cultiver les points communs, qui forment une culture commune. Citons les principes fondamentaux, comme la nécessité de respecter l’adversaire, de ne pas haïr l’autre, de respecter la règle, de savoir accepter la défaite avant toute chose. De prendre la victoire avec modestie en sachant remercier le perdant car chacun est utile à l’autre… Où est la différence entre le sport et le budo sur ces points-là ? Je crois vraiment qu’il faut inventer le concept de culture du corps, ou plutôt de culture par le corps.
FFK : Ne craignez-vous pas qu’il y a un risque de perdre la spécificité du budo en devenant olympique ? D’aller dans la direction exclusive du sport, un peu comme l’a fait le judo ?
N. T. : Aspirer à une culture commune, ce n’est pas nier ou sous-estimer les différences. Nous serons toujours héritiers de la sphère culturelles des arts martiaux et du budo, nous ne serons jamais le base-ball. Nous avons notre mentalité et nous continuerons à la cultiver. Mais nous pouvons aussi développer le sport et ses qualités spécifiques. Parce que le sport permet des logiques d’entraînement systématique, par exemple, et donc de faire des progrès très importants en réduisant le nombre de techniques travaillées. Le karaté japonais l’a compris et nous avons désormais une équipe nationale qui se regroupe fréquemment et c’est nouveau pour nous. Alors oui je peux vous le dire, l’équipe japonaise de demain sera beaucoup plus forte ! Et si nous arrivons à mettre le karaté en 2020 au cœur de l’événement olympique, nous aurons alors un afflux de sponsors nouveaux, une accélération extraordinaire de notre discipline, aussi bien chez nous qu’au niveau mondial. Faut-il la craindre ou l’espérer ? Quant à moi je ne pense pas une seconde que le karaté soit en danger de devenir un « simple » sport, n’y même d’emprunter la voie du judo, parce le karaté de compétition ne représente que 20% des techniques du karaté, parce que nous avons nos styles, et que nous avons appris à vivre avec ces différences et à les apprécier, parce que nous avons nos katas, un univers d’une grande richesse, d’une infinie variété. Alors je ne crois pas que nous irons jamais vers une unification qui serait une simplification. La JKA a conscience qu’il faut à la fois construire ce grand sport universel qu’est désormais le karaté et en même temps préserver la dimension traditionnelle de la discipline. Les deux vont bien ensemble.
