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Ryozo Tsukada – « Je cherche la liberté »

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Ses débuts à Osaka, ses années d’enseignement en France, ses prises de conscience… Le parcours de Ryozo Tsukada, 9e dan, témoigne de sa quête de sens et de liberté.

Comment avez-vous découvert le karaté ?

À l’époque, il n’y avait pas de club à proprement parler, pas de compétition non plus. Mais juste à côté de chez moi à Osaka, il y avait un groupe qui se rassemblait pour pratiquer le karaté en extérieur sur la place d’un temple. Parfois, les moines nous proposaient de pratiquer à l’intérieur du temple, dans le dojo, qui était un lieu de méditation bouddhiste. Cet espace calme était l’un des seuls disponibles où nous puissions nous concentrer et pratiquer. Je n’avais pas conscience, à l’époque, d’être dans un lieu spirituel. J’étais juste content de pouvoir pratiquer à l’intérieur quand il faisait froid à l’extérieur. Mais le karaté me comblait physiquement. Je trouvais très intéressante la manière dont la discipline me faisait bouger mon corps, cette mobilité que j’étais en train d’acquérir.

©FFK – Portrait de l’expert Ryozo Tsukada.

Quelle était alors votre motivation ?

Je dois le dire, j’étais attiré par la bagarre. Mon père était judoka et l’un de mes frères aînés pratiquait le kendo. Mais je n’avais pas le même gabarit qu’eux, et je n’arrivais pas à les battre. J’ai pensé à faire du baseball, qui était et qui est encore aujourd’hui un grand sport au Japon, et qui possède beaucoup de similitudes avec les arts martiaux, notamment en termes de gestuelle, de mouvement des hanches, des épaules, des bras. Mais je me suis finalement tourné vers le karaté. Pendant un temps, j’ai pratiqué le judo, l’aïkido et le karaté en même temps, puis j’ai définitivement choisi le karaté. Je pense que mon père a compris que cela me correspondait davantage. À cette époque, le karaté était mal vu par rapport à d’autres arts martiaux. Mais j’y rencontrais des jeunes de mon âge, je pouvais bouger mon corps et bien m’en sortir malgré mon petit physique (sic).

Quel souvenir gardez-vous de vos années universitaires ?

Mes quatre années universitaires ont été très importantes. J’étais jeune, je ne pensais encore qu’à l’aspect physique du karaté. Et l’université a justement été très dure physiquement. Il y avait beaucoup de pression. Il fallait faire preuve d’une grande persévérance, tenir, se dépasser. Ce n’était pas vraiment une histoire de talent, mais une histoire de résistance. Je suis resté jusqu’au bout, peut-être parce que je n’ai pas eu le courage d’arrêter. Peut-être aussi parce que je me sentais quand même progresser petit à petit. J’avais le sentiment de gagner en force, en confiance aussi. Cette façon d’enseigner le karaté à la dure a beaucoup évolué, même si la difficulté est souvent toujours présente. Je suis heureux d’avoir vécu ces années qui m’ont beaucoup apporté, même si, honnêtement, je n’aimerais pas les revivre aujourd’hui.

Comment apprenait-on le karaté au Japon à cette époque ?

Au Japon, dans la phase d’apprentissage, nous ne posons pas de question. Nous faisons beaucoup de répétitions, ce qui nous oblige à être fort physiquement et à rester toujours concentré. Ça permet de pleinement comprendre certaines techniques par la tête, puis de les faire appliquer à notre corps, tout en faisant attention à ne pas les répéter machinalement, et à toujours écouter notre corps et ses douleurs. Les senseï ne montrent pas, ou alors très peu. Il faut toujours être attentif pour prendre tout ce que l’on peut prendre. Il faut voler du regard les techniques autour de nous, et recopier, répéter, imiter, puis les adapter à notre physique, à notre pratique.

©FFK – Ryozo Tsukada en démonstration.

Qu’est-ce qui vous a surpris en arrivant en France ?

Dans les années 1970, mon sempai, Yoshinao Nanbu sensei, cherchait un assistant pour l’accompagner en France et enseigner dans son club, et je me suis proposé. Je pensais plus au voyage qu’au karaté à ce moment-là. En arrivant, j’ai observé les Français, et j’ai été surpris par leur sérieux, mais aussi leur façon de travailler. Vous commenciez la pratique du karaté en l’abordant à la fois sur le plan physique et sur le plan spirituel presque indissociablement. Au Japon, on ne pense pas au spirituel, on l’assimile naturellement petit à petit sans réellement le concevoir. Les Français avaient une façon de penser qui n’était pas la mienne. Ils me paraissaient presque naïfs, mais étaient très sincères dans leur conception du karaté.

Quels défis avez-vous rencontré en arrivant ?

J’ai été lancé dans le bain de l’enseignement sans vraiment savoir comment enseigner. Donc j’ai décidé au départ d’enseigner le karaté à mes élèves français comme je l’ai appris au Japon, ce qui n’a pas fonctionné. Très vite, j’ai perdu des élèves. J’étais déçu et ne comprenais pas pourquoi. Puis j’ai réalisé que la mentalité européenne était très différente de la mentalité japonaise, et que je devais m’adapter. De plus, mon style, le shito-ryu, était largement minoritaire en France. Je partais donc en quelque sorte de zéro.

Comment enseigner le karaté à des Français ?

D’abord, j’ai dû moi-même apprendre à être pédagogue pour pouvoir apprendre aux autres, tout en ne parlant pas français. Comment enseigner, comment transmettre sans avoir le même langage ni la même façon d’apprendre ? Les Français étaient impatients. Le système de répétition ne fonctionnait pas avec eux. Ils n’avaient pas envie de faire tout le temps la même chose. Ils préféraient apprendre beaucoup de choses différentes. J’ai dû aussi commencer à montrer les choses à mes élèves. J’ai appris la pédagogie sur le tas. Mes élèves m’ont beaucoup aidé. Je leur ai donné tout mon karaté au fil des années, sans attendre quelque chose de leur part. Et ils m’ont beaucoup appris, sur le karaté, sur moi, en retour.

©FFK – Ryozo Tsukada enseigne des techniques.

Les experts japonais insistent souvent sur ces différences culturelles…

Vous possédez une culture de la critique. Ça peut être une mauvaise chose, mais ça peut aussi être un avantage. Les Français s’interrogent et interrogent les autres. On ne peut pas leur imposer une façon de penser. Ça m’a fait évoluer en tant que professeur. Ce que vous avez aussi, c’est le choix de venir ou non à mes cours. Vous avez souvent très envie d’apprendre, mais vous pouvez aussi arrêter ou partir ailleurs si mon enseignement ne vous convient pas. Seuls les plus motivés restent. J’ai appris tout cela.

Comment a évolué votre karaté au fil des années ?

J’ai commencé à travailler le karaté sans réellement savoir qu’il y avait un lien avec l’épanouissement personnel, avec le rapport à la nature. Année après année, l’âge avançant, le physique baisse inévitablement. C’est là que la dimension morale, spirituelle, vient compenser la baisse physique. On gagne en force de caractère. Physiquement, ma puissance est toujours la même. Mais ma façon de l’utiliser à travers mes articulations est différente. Je suis en tout cas toujours dans l’apprentissage. C’est ce qui fait la richesse du karaté : le bonheur, la santé, l’apprentissage constant, avec un petit supplément d’esprit.

Comment se caractérise le passage du travail du corps pur à une ouverture spirituelle ?

La dimension spirituelle du karaté, c’est une simplification des choses, une autre façon de vivre, la recherche d’une liberté complète de son corps. Cette liberté, je la cherche depuis longtemps, et même encore aujourd’hui. Je la trouverai, j’ai le temps, je n’ai que soixante-quinze ans et encore beaucoup de temps devant moi. En réalité, je ne sais pas si je peux l’atteindre totalement, mais je sais que je vais dans sa direction, que ma vision est plus claire, que mes relations aux autres le sont aussi. La liberté, c’est simple, mais c’est immense. C’est ce qui me guide aujourd’hui.

« Je suis resté jusqu’au bout, peut-être parce que je n’ai pas eu le courage d’arrêter. Peut-être aussi parce que je me sentais quand même progresser petit à petit. »

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