Patrice Sève, une trajectoire privilégiée
Septième dan de yoseikan budo, il a tout connu de la naissance de la discipline à aujourd’hui, ce qui fait de lui à la fois un acteur central de la discipline et sans doute son historien le plus précis.
On l’écouterait conter ses anecdotes, histoires et souvenirs pendant des heures : une culture japonaise qui le marquera de manière indélébile, son club et sa ville de Méru, dans l’Oise, dont il fera l’une des places fortes du yoseikan, la rencontre avec Hiroo Mochizuki, l’apprentissage permanent et les échanges incessants avec celui devenu à la fois un « maître » et un ami… Patrice Sève, soixante-dix-sept ans, est un pionnier, un modeste aussi, sincère et discret. Comment rencontre-t-on le yoseikan ? C’est la question. « Tout a d’abord commencé par le judo, raconte l’intéressé. Nous sommes en 1957. J’étais petit, sans doute un peu complexé, avec le besoin d’une certaine reconnaissance. Je pousse alors la porte du dojo de judo de Mr Louis Bocquet, à Creil, dans l’Oise. Me voilà sur les tatamis, lancé vers une aventure qui me remplit d’envie et d’attente… » Quelques années plus tard, juste avant sa majorité, Patrice Sève rencontre deux personnages qui le marqueront à jamais : Jacques Noris et Hiroo Mochizuki. Il rejoint en effet le club de judo du premier, à Beaumont-sur-Oise. Première véritable révélation : Jacques Noris – qui fondera plus tard la marque d’arts martiaux éponymes – est alors l’une des stars du judo tricolore : champion d’Europe de judo en 1963 et capitaine de l’équipe de France de nombreuses années (il compte soixante-deux sélections dont neuf aux championnats d’Europe et deux en championnats du monde NDLR), il entraîna Patrice Sève dans le quotidien du très haut niveau. « Jacques était non seulement un excellent combattant mais aussi, on le sait peut-être moins, un extraordinaire professeur. Impossible d’oublier les nombreuses compétitions par équipes de club, dont il était l’un des titulaires ! J’ai appris à ses côtés le sens du sacrifice, l’esprit d’équipe, l’exigence… Jacques avait ce don, cette capacité incroyable à nous motiver, à emmener les autres avec lui, à faire que nous nous sentions invincibles. »
Noris et Mochizuki, personnalités inspirantes
« Dans les mêmes années, vers 1962-1963, j’entends de plus en plus parler de karaté. Un jour, je vais au cinéma voir un film policier. J’y découvre un Japonais qui combat de manière incroyable ! Ma curiosité me pousse alors à essayer… Me voilà en quête d’un dojo du karaté. Voyageant souvent en train pour venir à Paris pour mes études, je recherche un club proche de la gare du Nord. J’en trouve un, à deux pas, dans une cave… » Il raconte cette rencontre qui va changer sa vie. « Cela remonte à très loin maintenant, mais impossible d’oublier l’ambiance, l’intensité qui régnaient dans ce cours. Le nom du professeur ? Hiroo Mochizuki. À cette époque il parlait à peine français. Les cours étaient physiquement très durs. Rapidement il a su que je faisais du judo. Du coup, à la fin de l’entraînement, on restait tous les deux pour faire des randori (combats souples). C’était un moment de détente pour lui (rires), mais il était très fort. Alors que je lui parle du film policier que j’avais vu, avec ce Japonais incroyable, il me dit tout de go : “le Japonais, c’était moi !”».
L’école de l’exigence
Immédiatement séduit et rapidement fascine par Hiroo, son énergie et la puissance qu’il dégageait, Patrice Sève se souvient comment il a forgé sa personnalité, changé de regard sur lui-même aussi : « j’étais désormais plus sûr de moi, j’étais devenu vraiment exigeant avec moi-même, je voulais sans cesse repousser mes limites dans les pas de cet incroyable maître de budo. »
Lorsque Hiroo Mochizuki part enseigner au club Plage 50, rue du Faubourg Saint-Denis, il propose à son cadet de le suivre. Ce dernier assistera alors à tous les cours collectifs et aura le privilège d’un entraînement personnel un après-midi par semaine. En 1969, voilà Patrice Sève à l’Insep, avec l’ambition de passer son diplôme d’État en tant que candidat libre, lequel vaut, à cette époque, pour le judo, le karaté et l’aïkido. Il l’obtiendra après une préparation d’un an réalisée avec Jacques Noris. Une « perm’ » de huit jours pendant son service militaire en Allemagne lui permettra notamment de peaufiner les kata de judo avec son professeur comme… Uke. Patrice Sève révèle d’ailleurs l’anecdote de ce jour pas comme les autres : « lorsque la démonstration technique a lieu, l’un des jurés m’a dit : “je n’ai jamais vu Jacques Noris chuter autant de fois !”» (rires)
Dès l’année suivante, le voilà professeur de karaté au sein du club d’arts martiaux de Jacques Noris, à Beaumont-sur-Oise. Déjà ceinture noire de judo, il enchaînera sur une ceinture noire de karaté.
Méru, place forte du yoseikan
La même année, la municipalité de Méru le recrute en tant qu’éducateur sportif, fort de son DE. Dans la foulée, il est aux premières loges lors de la création du yoseikan budo par Hiroo Mochizuki, qu’il côtoie et suit en stage dès qu’il le peut. « Le nom initialement choisi était le yoken avant que Hiroo n’opte finalement pour yoseikan budo. L’idée fondatrice est basée sur les qualités exigées d’un samouraï : être très bon aussi bien à mains nues qu’avec armes, maîtriser les projections, etc. » Patrice Sève participera à l’élaboration du premier manuel de yoseikan, dont les photos d’illustrations seront prises dans son club de Méru, ouvert en 1970 et au cœur de plusieurs événements. Du budo et, par extension, une passion pour la culture nipponne, qui le pousse déjà à vouloir mettre en place un festival japonais. « Une idée un peu folle à l’époque mais qui me tenait à cœur. Je souhaitais faire découvrir ce qui avait transformé ma vie, au grand public, “Orient mystérieux” et ses secrets. Aidés par l’ambassade du Japon, la municipalité mais aussi Annic Devaux, membre du bureau directeur du club à partir de 1974 et qui sera de tous les événements majeurs de la discipline en France, nous avons vu notre projet aboutir en novembre 1978 où cinéma, art floral, arts martiaux, danse, théâtre et même sculptures sur glace et cérémonie du thé furent au rendez-vous ! » En 1981, le voilà chargé du développement du yoseikan en Allemagne, Méru étant jumelée avec une ville… d’outre-Rhin. Quelques années plus tard, Méru accueillera la première rencontre internationale, France-Belgique, organisée en 1985. Après un stage sept semaines au Japon chez Minoru Mochizuki, père de Hiroo, Patrice organisera, en novembre 1987 avec Annic Devaux, les premiers championnats d’Europe, en présence de dix nations, cent vingt participants et des Mochizuki père et fils. Suivront encore quatre festivals d’arts martiaux en 2000, 2005, 2009 et 2014… Une passion devenue dévorante, de l’engagement tous azimuts : en parallèle des cours dispensés de manière hebdomadaire et la satisfaction de voir trois de ses élèves devenir champions du monde, il devient responsable technique de la Picardie en 1984, arbitre international et responsable de l’arbitrage national en 1990, expert fédéral de 2012 à 2016 avant de devenir membre du conseil d’administration de la FFKaraté et responsable de la commission nationale de yoseikan budo. Au total, Patrice Sève aura formé une vingtaine d’enseignants et ouvert, avec eux, une quinzaine de clubs. Au moment de faire ce bilan il ne peut toutefois s’empêcher de parler de son sensei, avec autant de respect que d’affection : « Si Minoru fut un samouraï à la manière de la série Shogun, Hiroo est, lui, un chercheur perfectionniste. S’il existait un CNRS des arts martiaux, il en serait sans doute le patron (sourire). Cette volonté permanente de perfectionnement m’a positivement contaminé : même à soixante-dix-sept ans, j’estime toujours avoir à apprendre. Car détenir la vérité est un aboutissement. Il n’y a plus rien derrière ! Penser tout savoir est une preuve d’arrogance à laquelle je préfère nettement l’humilité, la recherche, le cheminement vers de nouveaux savoirs et connaissances. Le cœur du yoseikan, pour moi, est là ».