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Manabu Murakami «Taizen, l’esprit immobile comme l’océan»

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Il marche dans les pas de Kanazawa, affirmant avec simplicité son immense admiration pour celui qui est à l’origine de sa vocation de karatéka. Suivre un maître… et chercher à devenir non pas ce qu’il fut, mais ce qu’il aspirait à être. Ultime preuve de respect.

Votre vie, c’est l’histoire de rencontres décisives. Comment avez-vous rencontré le karaté, puis Kanazawa sensei ?
Dans ma ville de Kumamoto, le Budo est populaire, et en particulier le karaté. À l’époque où Masatoshi Nakayama était encore l’instructeur en chef de la JKA, son adjoint, Miyata Minoru, était de cette ville. Il fut mon professeur. Je peux donc dire que je suis un peu le « petit-fils » de Nakayama sensei. J’ai commencé le karaté vers neuf ans. Personne ne pratiquait dans ma famille, mais ma mère m’a fait promettre de ne pas m’arrêter avant la ceinture noire. À l’adolescence, avant mes quinze ans, je préférais de beaucoup le baseball, mais j’ai continué le karaté, pour respecter cette promesse. C’est vers quinze ans que j’ai fait ma première compétition de kata, que j’ai gagnée. Hirokazu Kanazawa était là et je l’ai vu pour la première fois. Il a fait une démonstration qui m’a surpris et fasciné. Je n’avais jamais vu ça. Un an plus tard, il était de nouveau là. Après ma victoire de l’année précédente, j’avais commencé à m’entraîner très sérieusement. J’ai eu la chance de pouvoir participer à une séance avec lui. De ce jour, il a capté mon cœur, je l’ai adoré.

Denis Boulanger / FFK

Quelle influence cette admiration a-t-elle eue sur votre vie ?
Pendant mes trois ans de lycée, j’ai continué à suivre son exemple en m’inspirant de ses livres. Je me suis mis à penser que je voulais devenir un grand karatéka, comme lui. Qu’elle était la meilleure façon d’y parvenir ? Le moyen le plus simple, le plus naturel, c’était de faire le même chemin que lui. Je me suis donc retrouvé dans son université de Takushoku et son dojo fameux pour le karaté. À vrai dire, j’ai plus vu le dojo que l’université elle-même, car même si j’étais inscrit en sciences politiques, je n’ai pratiquement fait que du karaté. J’ai suivi aussi les entraînements proposés par la JKA. À l’université, le professeur était Tsuyama Katsunoru, dont l’enseignement était orienté vers le combat et qui fut d’ailleurs entraîneur national en chef. Après l’université, fidèle à mon projet, je me suis inscrit comme kenshusei – une sorte de stagiaire à demeure – à la JKA. Deux ans d’engagement, indispensables pour y devenir instructeur. Ce statut ne concerne pas seulement l’entraînement. C’est une immersion dans l’école, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Lever vers sept heures pour un entraînement personnel, avant d’entamer un peu de travail administratif pour l’école puis, à dix heures, l’entraînement spécifique des kenshusei commence. Après avoir mangé, on reprend le travail administratif jusqu’aux entraînements collectifs du soir. 

Étiez-vous doué pour le karaté ?
À vrai dire, pas du tout ! À l’université par exemple, tout le monde était très fort et, en première année, je pense que je n’ai pas gagné un seul combat. J’ai continué tout de même. L’entraînement était très éprouvant physiquement et moralement et les sempai étaient particulièrement durs. Je n’aurais jamais dit cela à l’époque, mais je pense aujourd’hui que c’était des moments positifs. J’ai compris bien plus tard que leur attitude avait une signification, c’était une sorte de formation morale. Désormais, quand je fais face à des problèmes difficiles, je n’ai pas le réflexe de m’enfuir. Le karaté a toujours été pour moi une occasion d’apprendre l’essentiel. Plus tard, toujours étudiant, j’ai participé au troisième championnat du monde de la SKIF (Shotokan Karate-Do International Federation), l’organisation de Kanazawa sensei, et je pensais l’emporter car j’avais beaucoup travaillé. Mais en quarts de finale, je rencontre un Allemand et je l’ai assommé. Disqualification pour non-contrôle ! Ce championnat a changé ma vie. Je me suis dit que ce n’était pas du niveau du professionnel ni de l’expert que je cherchais à devenir. Par la suite, j’ai gagné et j’ai commencé à penser que j’étais vraiment fort. Mais, un jour, il y avait un passage de grade et dans ce passage, un Chinois de Honk-Kong de 69 ans. En le regardant faire, son kata m’a touché, j’ai senti quelque chose. Ce n’était pas son niveau technique, que je jugeais moyen, mais sa sincérité, son sérieux, sa capacité à aller au bout de lui-même, qui me sont allés droit au cœur. Jusque-là, je pratiquais pour devenir fort. J’ai compris que le karaté c’était ça, et qu’il me manquait encore quelque chose. Le karaté devait avoir un sens pour ma vie.

Denis Boulanger / FFK

Et Kanazawa sensei finalement ?
Après les deux ans, je suis devenu instructeur et j’ai pu suivre mon idole tous les jours pendant plus de vingt ans. Il ne disait jamais ce qu’il fallait qu’on fasse. On le comprenait en le regardant se comporter. À ce niveau d’expertise, il n’y a que de très légères différences techniques entre les uns et les autres. Ce qui fait la différence, c’est la personnalité. Celle de Kanazawa était remarquable. Il semblait être capable d’accepter toutes les situations avec la même égalité d’humeur, de parler à un enfant et à un président sur le même ton. Il avait l’esprit « taizen », calme et profond, immobile comme la mer, immense comme l’océan. Les choses les plus difficiles comme les plus excitantes ne le faisaient pas bouger intérieurement. J’admirais sa façon d’être à la fois très confiant et même fier, tout en étant parfaitement modeste. Quand il est mort, son influence sur moi, et même son enseignement, n’ont pas cessé. J’ai commencé à me remémorer tout ce qu’il m’avait montré et je comprends à présent de mieux en mieux ce qu’il souhaitait me délivrer comme information à l’époque.

Avez-vous finalement réalisé votre projet de devenir aussi grand que lui ?
J’en suis bien loin ! J’ai encore beaucoup de travail. Heureusement, j’ai encore du temps. Mais pour un instructeur comme moi, ce n’est pas suffisant de vouloir être ce qu’était Monsieur Kanazawa. Il faut essayer d’être ce que lui-même essayait de devenir. Le karaté est une merveilleuse école. Si vous faites dix fois « tsuki » parfaitement, vous pouvez anticiper que le onzième et le douzième seront aussi bien faits. On dit beaucoup du karaté que c’est une self-défense, mais je crois que c’est plutôt une « self-confiance ». Continuer toute sa vie le karaté l’enrichit à tous les niveaux. Mais il faut pratiquer le karaté vrai. C’est pourquoi le plus important est de trouver un bon « sensei », auquel on s’efforcera de donner confiance par nos marques de respect. Il doit être capable de délivrer pour chaque technique la forme modèle, celle qui permet de continuer à construire sans se blesser. Il doit être juste mentalement, ne pas se tromper. Sinon, de glissement en glissement, d’à-peu-près en à-peu-près, l’élève se retrouve égaré. Kanazawa sensei, c’était ça : une forme parfaitement juste et un esprit naturel.

Propos recueillis par Emmanuel Charlot / Sen No Sen

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