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03 avril 2015

Le Naha-Te, les racines chinoises du karaté

Karaté

Zenei Oshiro, 8e dan Karaté goju-ryu et Kobudo • © Denis Boulanger / FFKDA
Zenei Oshiro, 8e dan Karaté goju-ryu et Kobudo • © Denis Boulanger / FFKDA
Oshiro Sensei est l’un des plus fins connaisseurs de ce karaté traditionnel issu de la petite île du pacifique perdue entre la Chine et le Japon, Okinawa. Lors d’un article précédent la semaine dernière, nous avons découvert la lignée du karaté « Shotokan », issu d’un des trois grands styles d’Okinawa, le Shuri-Te. Découvrons cette fois la grande influence du Naha-Te.

Deuxième partie : le Naha-Te, les racines chinoises du karaté

Rappelons cette histoire semi légendaire des trente-six familles chinoises réunies dans ce village de Kume, en périphérie de Naha à l’époque. Ce serait en 1393 qu’un empereur chinois envoya ses premiers émissaires vers Okinawa pour demander un tribut. Ce sont des diplomates, des marchands, des experts de toutes sortes qui diffusent la culture chinoise. On trouve encore la trace de manifestations publiques des gens de Kume effectuées au XIXe siècle. C’est là que commence l’histoire du Naha-Te.
Naha ? Aujourd’hui, c’est la ville principale d’Okinawa. Shuri et Tomari ont été englobés dans ce tissu urbain et n’en sont plus que des quartiers. Mais à l’époque, ces bourgades sont distinctes les unes des autres, mais très proches en termes de distance. C’est étonnant aujourd’hui de penser que Shuri est à peine à huit kilomètres de Naha, et que le village de Tomari est entre les deux ! Pourtant, les trois grandes influences originelles du karaté d’Okinawa tiennent dans ce mouchoir de poche. Il faut penser que dans un monde sans voiture, et même sans chevaux, comme Okinawa à l’époque, si sept ou huit kilomètres sont faisables en quelques heures de marche, on ne fait pas ça tous les jours. Si proches… mais déjà assez loin quand on marche à pied !
Shuri était la capitale royale, Naha et Tomari sont les deux villages portuaires, où se font les échanges commerciaux. Déjà la mentalité n’est pas la même et les experts sont un peu différents à ce niveau. A Shuri, on pratique le To-De pour des raisons de prestige social et pour obtenir une charge honorifique à la cour royale. À Naha, c’est une aventure plus personnelle, liée aussi aux voyages commerciaux, à la découverte de soi et des mystères de la Chine, une relation qui fait sa spécificité.
L’histoire du Naha-Te prend ses racines au XIVe siècle, mais sa naissance historique est, comme celle du Shuri-Te, une aventure du XIXe siècle.

Higaonna, un réformateur

Né à Naha Higaonna Kanryo commence la pratique du combat à la façon de Kume avec un expert nommé Aragaki Seisho, un homme qui parle chinois et finira par retourner en Chine. C’est muni de ces bases solides en boxe chinoise que le jeune homme part lui-même en Chine à la découverte des secrets du combat. Il fait probablement du commerce entre l’île et le continent. Il serait resté plus de dix ans, rencontrant de nombreux maîtres, apprenant la Grue Blanche et de très nombreux katas dont le karaté a gardé la trace, comme Sanchin, Seyonchin, Shisochin, Seisan, Sanseru, Kururunfa ou encore Suparinpei.
C’est entre trente et quarante ans qu’il revient à Okinawa et ouvrit un dojo d’abord confidentiel, enseignant notamment la position Sanchin-dachi, sur laquelle il était lui-même indéracinable dit la légende.
Contemporain d’Itosu – il mourra la même année, en 1916 – Higaonna va, comme lui, rompre avec les habitudes de secret et enseigner à beaucoup de monde, y compris dans les établissements scolaires et les dojos de la police. Il aurait sans doute aussi volontairement édulcoré certains aspects de son système de « Naha-Te » pour le rendre plus attractif et accessible. C’est autour du kata Sanchin, qui incarne le cœur du Naha-Te et des styles qui ont suivi, que se repèrent les modifications apportées, puis corrigées, ou pas, par les autres générations. Comme le Shuri-te est réuni dans l’appellation générale de Shorin-Ryu, le Naha-Te et tous les styles proches sont regroupés dans l’appelation Shorei-Ryu… qui veut dire la même chose (École de Shaolin).
Le « Naha-Te » d’Higaonna était dynamique, avec des coups de pied rapides et beaucoup de déplacements. Si il est manifeste qu’il avait appris Sanchin mains ouvertes, il le transmit à la plupart de ses élèves poings fermés et avec un mode de respiration plus courte et fluide, sur un rythme plus rapide. Le style a beaucoup évolué sous l’influence de son principal élève Miyagi Chojun, fondateur du Goju-Ryu qui donnera, entre autres, les caractéristiques actuelles du kata Sanchin : contraction constante, respiration sonore et forcée en inspiration comme à l’expiration.

« Tout dans l’Univers respire dur et souple »

Contrairement à Higaonna, Miyagi Chojun est d’une famille aisée, possédant des navires de commerce et essaimant jusqu’à Hawaii. S’il apprend avec Higaonna, Miyagi va entamer un retour aux sources du Naha-Te en faisant le voyage vers la Chine sur les traces des professeurs de son maître. C’est ainsi qu’il fut amené à modifier le kata Sanchin et à créer un second kata « respiratoire », Tensho, plus complexe au niveau des mouvements et alternant le souple et le dur sur la base d’un kata non transmis par Higaonna. C’est ce karaté, préoccupé de maîtrise posturale statique et forte, de contrôle respiratoire dans l’esprit chinois du Qi-Qong, resté proche des préoccupations originelles du combat rapproché contre plusieurs adversaires potentiels et un risque mortel, avec le patrimoine des clés et des projections, des techniques de poing courtes et rondes, des coups de pied bas, que Miyagi Chojun finira par appeler Goju-Ryu (Ecole du Dur-souple). Une marque encore de l’influence chinoise sur cette lignée de karaté. C’est une allusion à une phrase du Bubishi, célèbre ouvrage chinois sur le combat : « Tout dans l’Univers respire dur et souple ».
Miyagi Chojun, personnage lui aussi devenu légendaire et célèbre, fera la rencontre de Jigoro Kano et le parcours vers le Japon, où il diffusera son art parallèlement au Shotokan de Funakoshi. Il aura pour élève le Japonais Yamaguchi Gogen, qui popularisera la branche japonaise du Goju-Ryu, faisant de son école un creuset pour les valeurs traditionnelles japonaises en pleine période d’occupation américaine.
Si le Goju-Ryu a lui aussi suivi une logique d’ouverture au plus grand nombre et fut progressivement organisé pour être enseigné aux étudiants en masse, mais aussi pour faire face aux enjeux sportifs, modifiant ainsi progressivement, mais radicalement l’esprit originel, il conserve toujours un courant de pensée plus radicale à la recherche du concept d’efficacité martiale. Parmi les styles héritiers du Goju-Ryu on trouve en effet les styles « sportifs » de plein contact, comme le Kyokushinkai de Masutatsu Oyama. À Okinawa, ce sont les maîtres Higa Seiko, Yagi Meitoku, Eiichi Miyazato qui furent les continuateurs officiels de Myagi Chojun, jusqu’à la fin du XXe siècle.

Uechi-Ryu, plus chinois encore !

Kambun Uechi est un homme de la campagne. C’était le fils d’un ancien samouraï devenu fermier au moment de l’entrée dans l’Ère Meiji, installé dans le village de Motobu, au nord d’Okinawa. Il part en Chine en 1897, dans cette province de Fukien (Fujian) en face d’Okinawa fréquenté par tous les aspirants okinawaiens à la connaissance, probablement pour échapper à la conscription dans l’armée japonaise, et comme Higaonna notamment, à la recherche de l’art du combat. Il y restera plus de dix ans, s’écartant des sentiers battus par les autres experts d’Okinawa pour devenir l’aide et le disciple d’un herboriste chinois qui lui apprend le style Pangai-noon, aujourd’hui disparu en Chine, et qui veut dire à peu près la même chose que go-ju : dur – doux. Revenu en 1910 à Okinawa, il se consacre à la propriété familiale, refusant d’enseigner son art. Peut-être pour passer inaperçu auprès des autorités (il est déserteur), mais aussi, dit la légende parce que lui, ou un de ses élèves chinois, aurait tué un homme dans une rixe. Mais son expertise finit par se remarquer et les élèves potentiels insistent. Itosu le voit faire une démonstration du kata Sanchin, qu’il pratique mains ouvertes selon des modalités plus traditionnelles, et lui demande de faire partie des professeurs officiels de l’Okinawa-Te, la fédération de tous les styles de l’île. À sa mort cependant, Kambun Uechi prend ses distances. Il finira par aller à Nagoya au Japon travailler dans une usine textile, enseignant là aussi avec discrétion à la communauté okinawaienne. Ce n’est qu’en 1940 qu’il commence à prendre plus d’élèves et change le nom du style en « Uechi-Ryu ». Il rentre à Okinawa en 1946 et meurt deux ans plus tard. Bien que n’étant pas à proprement parler de l’influence du Naha-Te, le Uechi-Ryu puise aux mêmes sources et peut-être encore plus profondément. Il est considéré à Okinawa comme une boxe chinoise, proche de ses origines martiales. Il est plus rude, plus direct, plus explosif que le Goju-Ryu. Les postures poings fermés sont rares et il privilégie le corps à corps avec des attaques de jambe basse avec la pointe des orteils. Le renforcement du corps par les exercices traditionnels en est une base essentielle du style qui a pour objet de faire du corps une arme. Sous l’influence de la boxe thaïlandaise, les écoles modernes renforcent aussi les jambes, ce qui n’était pas le cas au départ.
Au Japon comme à Okinawa, où fut implanté le Hombu Dojo du style, fréquenté par beaucoup d’étrangers notamment américain, c’est son fils Kanei Uechi, qui fut le principal organisateur et codificateur de l’école Uechi-Ryu. Le fameux Kiyohide Shinjo, actuel 9e dan de karaté, invaincu en compétition à Okinawa pendant neuf ans et surnommé le « Superman d’Okinawa », est l’un des grands continuateurs du Uechi-Ryu sur l’île.

La semaine prochaine, retrouvez la troisème partie et dernière partie de notre entretien avec Zenei Oshiro …

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