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La Guadeloupe comme maison, le karaté pour vocation

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Titrée lors des premiers championnats d’Europe de kumité ouverts aux femmes, Béatrice Joffroy fait partie des pionnières du karaté féminin français. Portrait d’une Guadeloupéenne de cœur, amoureuse de son île adoptive et soucieuse de ne pas oublier celles et ceux qui l’ont accompagnée tout au long de son parcours, marqué par l’obtention de son septième dan en 2018.

Séduite par la Guadeloupe, attirée par le karaté
Durant l’été 1976, la Soufrière entre en éruption et incite les autorités locales à évacuer des dizaines de milliers de personnes. C’est dans ce contexte mouvementé que Béatrice Joffroy pose, pour la première fois, ses valises en Guadeloupe. Mariée à un médecin ayant souhaité faire son service militaire sous les tropiques, la jeune femme de dix-sept ans tombe sous le charme de cette île paradisiaque, qu’elle n’a plus quittée depuis. C’est aussi à ce moment qu’elle se prend de passion pour le karaté. « Nous étions accompagnés de mon frère qui, en tant que karatéka, voulait trouver un club afin de continuer à pratiquer, explique celle qui a grandi en région parisienne. J’avais envie de le suivre mais je n’osais pas, car mes parents m’avaient mis en tête que cette discipline n’était guère féminine. Finalement, mon mari m’a encouragée à franchir le pas et nous nous sommes tous inscrits. »

Béatrice a trouvé sa voie, et son départ pour le petit archipel des Saintes (où le karaté est encore inexistant) n’y change rien. Trois fois par semaine, elle retourne en avion sur « l’île aux belles eaux » pour y suivre des cours particuliers. Ceux-ci sont assurés par Camille Paulin, professeur réputé et connu comme étant la première ceinture noire de Guadeloupe. « Démarrer la pratique avec des cours particuliers, ce n’était franchement pas banal, se rappelle son élève. Cela m’a permis d’acquérir de très bonnes bases. »

La compétition à reculons
À l’époque, la Guadeloupe s’avère être un nid à talents pour le karaté féminin. Formées par Camille Paulin, des pratiquantes telles qu’Enide Lutin-Gantois, Hilda Cilirié et bien sûr Nicole Sarkis se pareront des plus hautes distinctions sur les podiums nationaux, voire continentaux. Bien que faisant partie de la même génération que ces championnes en puissance, « Béa » ne veut alors pas entendre parler de compétition. « Je n’étais pas intéressée par tout cela, avoue-t-elle. Un jour, mon prof m’a mise dos au mur : soit je m’alignais en tournoi, soit je quittais son club. Têtue comme j’étais, j’ai préféré m’en aller. Mais je suis revenue quelques mois plus tard, et c’est à reculons que je suis allée à ma première compétition. »

Autrefois cantonnées au kata, les femmes ont l’occasion de disputer leurs premières compétitions de kumite à l’aube des années 1980. Et c’est justement en combat que la Guadeloupéenne d’adoption parvient à briller, en tirant notamment profit de sa grande taille (1,82m). Sacrée championne de France en 1981, elle est sélectionnée pour les premiers championnats d’Europe de kumite féminin, organisés à Londres en 1982. Un nouveau titre à la clé, même si un fâcheux contretemps a failli tout gâcher. « J’ai eu un accident de moto trois mois seulement avant ces championnats d’Europe, raconte Béatrice. J’ai réussi à me remettre sur pied grâce à des séances d’acupuncture, mais je n’étais pas en mesure de frapper avec mes jambes, ce qui était pourtant mon point fort. Heureusement, mon professeur m’avait auparavant imposé des séances uniquement axées sur les poings, et c’est donc en combattant ainsi que je me suis frayée un chemin jusqu’en finale. Et là, j’ai surpris mon adversaire en plaçant une technique de jambes, la seule de la journée ! »

Un chemin, plusieurs rencontres marquantes
Du fait de ses résultats au plus haut niveau, Béatrice Joffroy peut être considérée comme étant l’une des premières figures de proue du karaté féminin. Au moment d’évoquer ses souvenirs, celle qui vit toujours à Saint-François – où elle a fondé un club en 1981 – souligne l’importance des rencontres qui ont jalonné son parcours. Il y a évidemment Camille Paulin, son professeur, qui lui a donné le goût de la pratique et l’a propulsée dans l’univers de la compétition. Il y a aussi Serge Chouraqui, l’entraîneur de la première équipe de France féminine, au sein de laquelle la combattante guadeloupéenne s’est liée d’amitié avec Mauricette Roig.

Béatrice n’oublie pas non plus ceux qui l’ont aidée à progresser dans la hiérarchie des grades, que ce soit Patrick Suard (pour atteindre le quatrième dan) ou Jean-Louis Morel, soutien de taille dans la préparation des sixième et septième dan. Enfin, impossible de passer sous silence ses échanges avec Henry Plée, disciple de Gichin Funakoshi en personne et maître de grands noms du karaté français comme Jean-Pierre Lavorato ou encore Alain Setrouk. Après avoir rencontré l’illustre expert (dixième dan) à Paris, Béatrice l’invite en Guadeloupe. Leurs séances de travail durent de 5h du matin jusqu’à 23h et influencent fortement l’ancienne combattante de la catégorie poids lourds. « Il a changé ma vision du karaté, souffle-t-elle. À son contact, j’ai compris énormément de choses sur l’acceptation, la sincérité, la nécessité d’être attentif en permanence… De mon point de vue, le champ des possibles s’est considérablement élargi. »

Bénéfices et limites insulaires
Comme Henry Plée, nombreux sont ceux qui ont traversé l’Atlantique pour rendre visite à Béatrice Joffroy, qui prend régulièrement l’initiative d’organiser des événements à Saint-François, dans le dojo qu’elle a construit avec son mari (photo ci-dessus). « Toutes les personnes à qui je propose de venir en stage répondent favorablement à l’invitation, constate avec amusement la professeure du Sangosho Karaté Club. Le cadre idyllique des Antilles n’y est sans doute pas pour rien ! Notre climat représente indéniablement un atout. Il fait tout le temps chaud ici, donc notre organisme peut s’habituer à répéter les efforts malgré des températures élevées. De plus, nous nous levons tôt, en même temps que le soleil, ce qui nous laisse la possibilité de mettre en place de grosses séances d’entraînement durant la journée. »

Septième dan depuis janvier 2018, la karatéka la plus gradée de Guadeloupe porte également un regard lucide sur les problématiques liées à l’insularité. « Il n’y a pas beaucoup de compétitions et, à partir d’un certain niveau de pratique, les adversaires se connaissent par cœur car ils ne sont pas nombreux, regrette-t-elle. Pour avoir droit à une concurrence plus relevée, il faut aller en métropole, ce qui implique un investissement financier conséquent. Et puis, je ne compte plus les jeunes pétris de talent qui raccrochent le karategi et s’en vont afin de poursuivre leurs études loin de chez eux. » Âgée de soixante ans, Béatrice songe à se mettre en retrait et à passer le relais à l’un de ses assistants, Moïse Mezence. « Je m’investirai moins qu’avant, mais je pourrai toujours donner un coup de main si besoin, » promet-elle. Une manière de transmettre le témoin en douceur.

Raphaël Brosse / Sen No Sen
Photos DR

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