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Dynamiser l’ensemble du territoire

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Sacré champion du monde en 2002, ancien responsable des équipes de France, Yann Baillon a endossé en septembre l’habit de Directeur Technique National, un rôle de taille patron qui va comme un gant à cette personnalité charismatique passée par toutes les étapes, du club traditionnel jusqu’à la très haute performance, sur la scène comme en dehors. Volontaire et passionné, il dévoile un projet ambitieux qui débute par l’annonce phare de l’ouverture d’un nouveau pôle de haute performance en France.

Yann Baillon, vous mettez en place un nouveau projet sportif, pouvez-vous nous en parler ?

Avant cela, permettez-moi de préciser qu’il s’agit de l’un des sujets importants sur lesquels je travaille avec mes équipes au même titre que le développement du karaté et des disciplines associées dans les territoires, celui du karaté scolaire, du parakaraté, de notre plan de féminisation, sur lesquels je reviendrai dans les prochaines semaines.

Pour ce qui est du haut niveau, et faire face à ses exigences, on a eu tendance jusque-là à se concentrer sur une petite élite basée en Île-de-France mais, sur ce modèle, on peine à avoir une élite internationale compétitive et cela ne contribue pas assez, surtout, à la dynamique nationale, celle de l’activité de nos clubs qui passe par un brassage plus large et des mises en synergie sur tout le territoire… Le rétrécissement, c’est un peu le piège qui nous guette, poussé par le karaté mondial et son système de ranking. Bien sûr, il s’agit pour la France d’être performante sur les grands championnats, mais je considère que c’est notre responsabilité de faire le pas de côté nécessaire pour réfléchir dans la sérénité, construire avec et pour les clubs une élite plus large et plus dynamique. Pour garder un équilibre dans les enjeux, une bonne santé générale, il faut prendre des risques, y compris celui de perdre, parfois. Il est nécessaire de mener la réflexion pour aider les clubs de province à se développer, redynamiser les régions, les territoires. Je suis arrivé en septembre et il y avait une politique déjà engagée, des choix entérinés mais je pense qu’il ne faut pas perdre plus de temps. Je souhaite bousculer l’agenda et faire avancer plus vite les dossiers auxquels je tiens.

® FFK – Yann Baillon Directeur technique national

Comment voyez-vous les choses ?

Il s’agit d’un chantier d’envergure, où il va falloir procéder par étapes. Être précis aussi. Il n’y a pas une seule réponse pour tout, un système unique pour l’ensemble du territoire. En PACA par exemple, il y a du potentiel, un peu caché, disséminé. Il y a des clubs formateurs, des clubs historiquement présents, comme l’Impact Karaté de Philippe Didelet, le FKA maintenant avec Mehdi Filali, Arles de Ben Abdesselem… Il y a des volcans endormis qu’il suffirait de peu de choses pour réveiller. À d’autres endroits, il faut sans doute créer des entités nouvelles. Il y a, bien sûr, le travail mené par les entraîneurs de ligue, mais les ligues sont tellement grandes géographiquement désormais qu’en termes d’organisation, ce n’est plus un concept suffisamment efficace. Cela contribue bien sûr, mais cela ne suffit plus.

Concrètement, que faut-il faire ?

D’abord, nous avons besoin d’un nouveau pôle dans le Sud, à Montpellier, dès la rentrée de septembre. C’est un projet que j’ai voulu faire avancer rapidement et je suis heureux de pouvoir dire qu’il est désormais officiel. Nous avons eu énormément de demandes en l’espace de quelques semaines pour y entrer. Depuis que l’information est passée, je reçois des mails et des messages dans tous les sens… C’est le signe qu’il y avait une attente depuis très longtemps.

Ce n’est pourtant pas si simple d’ouvrir un pôle en si peu de temps…

Il faut en effet comprendre, comme je vous le disais, qu’il y a au départ un projet de performance fédérale qui est mis en place pour quatre ans, c’est-à-dire la politique de haut niveau déterminée sur l’olympiade. En prenant mes fonctions en septembre dernier, j’arrive un peu à contre-courant, dans une période de transition, avec des idées nouvelles, et ce n’est pas, théoriquement, en fonction des engagements déjà pris, avec le ministère des Sports notamment, le moment de changer. Mais remettre un pôle dans le Sud, cela doit permettre de rapidement redistribuer les cartes et de façon efficace. Le problème du pôle de

Châtenay-Malabry, c’est que l’on fait venir des athlètes de Toulouse ou de Marseille à Paris. C’est un sacré voyage, un déracinement, il faut le dire. Et, si ça ne marche pas, c’est un gros sentiment d’échec, quelque chose qui est compliqué à gérer pour les familles. Alors oui, on participe à la formation, à l’accession au haut niveau, c’est bien, mais je pense qu’il faut un ciblage un peu plus local, par respect pour les parcours personnels, pour un meilleur épanouissement des talents et un meilleur maillage sur le territoire. Deux pôles, ça permet déjà de séparer la France en deux.

Comment avez-vous travaillé pour obtenir ce pôle ?

C’est un gros projet sur lequel j’ai mis beaucoup d’énergie dès mon arrivée. Je suis allé rencontrer les acteurs des CREPS, à Bordeaux et à Montpellier, mais aussi les acteurs institutionnels et ceux de nos organes déconcentrés régionaux, notamment les présidents de ligue. Nous avons aussi déjà des entraîneurs sur place, des cadres d’État. Montpellier est une place forte avec bien évidemment le centre national, le lieu où l’on fait nos entraînements avec un équipement de qualité qui nous appartient. La relation avec le CREPS est excellente, c’était donc une évidence. Il y a Talence aussi. Nous avions d’ailleurs un pôle qui fonctionnait très bien jusqu’en 2016 : Alizée Agier, Logan Da Costa, Anne-Laure Florentin… tous ces grands champions sont issus de Talence. Pour l’heure, l’ouverture du pôle se fera sur Montpellier, mais je pense qu’il est important de retrouver aussi un point d’ancrage dans le sud-ouest, sous la forme d’un centre régional d’entraînement par exemple, avec l’idée de progressivement développer de cette façon d’autres structures ailleurs, pas forcément des pôles là non plus, et même s’appuyer par exemple sur des clubs phares qui fonctionnent très bien.

Une forme de souplesse dans le système donc…

C’est exactement cela : essayer de pousser chaque région, chaque secteur en fonction de ses situations spécifiques, sans a priori, autour des piliers du pôle de Paris, du pôle de Montpellier, de structures ou de clubs, à titre d’exemple essayer de s’appuyer sur Talence avec les deux cadres sur place et la dynamique de la ligue Nouvelle-Aquitaine mais aussi sur le club phare de Poitiers. En AURA, plus spécifiquement en katas, cela est déjà fait avec le club d’Annecy par exemple. Il pourrait en être de même avec le Mabushi Veigné de Pascal Poitevin en Centre-Val de Loire. En Occitanie, il y a des bons référents katas, il faut aussi les solliciter et s’appuyer sur eux, en se servant de la structure pôle. Il y a également les Pays de Loire, avec deux clubs qui fonctionnent bien, Le Mans et Fontenay-le-Comte et des petits clubs qui travaillent et que nous devons encourager également. Que cela soit en kata ou en combat, nous devons nous appuyer sur l’expérience, la compétence, sur des clubs porteurs pour redynamiser et aider les plus petits.

De quelle manière, avec quelles perspectives ?

Les inclure dans le projet de performance. Aujourd’hui, les deux clubs que je viens de citer sont identifiés « Club Élite ». Du point de vue local, Un Samouraï Le Mans, c’est très structuré : il y a un sport-études, un accompagnement professionnel, des hébergements et une expérience reconnue… C’est donc intéressant et pertinent de travailler avec eux, de ne surtout pas les exclure de la dynamique à mettre en place. Dans le Nord, cela s’est bien restructuré parce que la Picardie et le Pas-de-Calais travaillent bien ensemble avec notamment deux anciens sportifs reconnus Alexandre Doucare et Romain Alloux. Là-bas, on aurait tout intérêt à s’appuyer sur cette expérience.

Le Grand Est, quant à lui, est « LA » région qui fournit les gros clubs l’Île-de-France. Ce n’est pas un problème pour moi que les gros clubs attirent, ils l’ont toujours fait et le feront toujours, ce sont des locomotives mais nous devons garder un équilibre en faisant en sorte que les clubs puissent conserver leurs meilleurs éléments et briller sur le plan national. Il y a énormément de qualité, à l’image d’un grand club formateur comme Longwy de Claude Mazzoleni ou de l’énorme travail mené par Michel Da Costa à Mont Saint-Martin et nous devons nous appuyer sur eux. Avec un centre régional, des appuis locaux et ciblés, des aides et une coordination de la direction technique nationale, ils resteraient dans la région et dans leur club et si, dans le même temps, le club parvient à monter une équipe complète, en combat comme en kata, pour briller au niveau national, on touche au cercle vertueux que je souhaite atteindre. J’ai vécu les années 1990 comme jeune spectateur avec des confrontations nationales par équipes entre les clubs de Paris, Lyon, Montpellier, Longwy, Sarrebourg, et j’en passe… Puis les années fin 1990 début 2000 comme compétiteur avec mon club d’Orléans, Le Mans, Faches-Thumesnil, Marseille, Saint-Étienne, La Réunion… Le championnat de France était d’une grande qualité et les clubs phares avaient leur identité ce qui rendait l’équipe de France presque intouchable.

® FFK – Yann Baillon Directeur technique national

Qu’en disent les entraîneurs des clubs que vous avez réunis ?

Je discute avec un maximum d’entre eux, de tous niveaux, y compris de manière informelle, parce qu’ils me donnent des idées, ils me font des retours d’expérience, ils participent concrètement. On ne parle pas uniquement de haut niveau, mais de tout ce qui peut être amélioré (arbitrage, organisation, règlementation, coaching…). Pourquoi ? Comment ? Avec qui ? Je les écoute, je les entends et cela va compter sur l’élaboration du PPF de l’olympiade à venir. Il y aura toujours les clubs phares, qui recrutent, comme c’était d’ailleurs le cas dans mon club d’Orléans, et on ne va surtout pas freiner ça car c’est une dynamique nécessaire, mais il est important de créer de l’émulation tout autour. Parce que quand il y aura de la concurrence dans les ligues, dans les catégories pupilles, benjamins, minimes… on aura gagné, j’en suis convaincu. Mon projet aujourd’hui à la DTN, c’est cela. Dans la structuration, c’est une rupture avec ce qui a été fait jusque-là, mais j’ai ma feuille de route et je la partage avec les entraîneurs de club, kata comme combat, que nous allons continuer de réunir, les directeurs techniques de ligues, les responsables régionaux. Ouvrir un pôle à Montpellier constitue déjà une victoire. Je sais où il y a des manques, je connais bien le contexte, je connais bien les territoires, je connais bien les clubs, je connais bien les référents, le potentiel humain que l’on a sur place. Nous devons aussi aider les clubs dans les démarches de demandes de subventions, dans la constitution de leurs dossiers, dans le développement nécessaire pour grandir de façon pérenne.

Vous avez aussi lancé des entraînements sur Marseille…

Oui, et nous devons aller plus loin. C’est la deuxième ville de France. Il y a beaucoup de clubs qui y font de la compétition, mettent de l’énergie, il y a de la compétence et du talent. J’ai missionné deux entraîneurs nationaux, Alexandre Biamonti et Nadir Benaissa, qui organisent des entraînements sur Marseille toutes les semaines. Pour l’instant c’est « qui veut vient ». Nous avons commencé à élaborer une liste d’athlètes pour que ce soit un peu plus large. Ça fonctionne bien, les clubs viennent et comprennent le projet, on travaille en confiance. Pourquoi ne pas y mettre en place une section sportive pour les plus jeunes, avec deux entraînements par semaine pour contribuer à la montée en puissance des clubs volontaires ?

Le pôle de Paris va d’ailleurs aussi changer un peu de fonctionnement, non ?

Nous l’avons ouvert, avec Olivier Beaudry, en 2006. Être au pôle, c’est cinq jours et dix entraînements par semaine. C’est bien, mais ça coupe aussi les athlètes de leurs clubs, qu’ils essaient de rejoindre le week-end… quand il n’y a pas de compétition ou de stages, et alors que c’est aussi un temps de récupération. Cela fonctionne bien au début pour les cadets-juniors, quand ils sont encore dans la formation au haut niveau puis il y a la tentation d’esquiver quelques entraînements et, finalement, en espoirs, ils ne restent pas. Nous les mettons dans une position où ils sont partagés entre le pôle et le club, car ils ont besoin de se ressourcer au club, c’est là qu’ils ont leur histoire, leurs repères humains. On doit pouvoir faire mieux, c’est le sens de ce changement que nous souhaitons apporter. Ces jeunes, on doit les faire se confronter en allant dans les clubs, à Sarcelles, au Mans, à Évry, Mont Saint-martin, au pôle à Montpellier, Marseille, puis dans des opens internationaux, en Suisse mais aussi en organisant des regroupements au CREPS en y invitant les clubs et leurs entraîneurs, en passant parfois la main… et du coup faire vivre là aussi une histoire collective, un peu comme une série, si vous voyez ce que je veux dire, avec des nouveaux épisodes régulièrement. La linéarité, ça crée de la routine et de la perte de motivation. Pour les espoirs, il nous faut leur donner du grain à moudre, leur proposer des choses plus précises, de l’analyse vidéo, de l’entraînement personnalisé, même en leur donnant un statut d’externe au pôle. On prend ce risque : on laisse ouvert et ils viennent quand ils veulent. À nous d’être bons pour qu’ils aient envie de venir souvent ! Les clubs vont aussi y trouver leur intérêt dans une logique commune de progression des athlètes. Il faut les associer plutôt que de les laisser de côté.

Un mot sur la sélection qui est alignée aux championnats d’Europe dans quelques jours…

Pour ces championnats d’Europe, nous avions annoncé que ceux qui avaient fait une médaille aux championnats du monde étaient sélectionnés automatiquement, ce qui concernait Laura Sivert, Alizée Agier et Medhi Filali. Pour les autres, nous avons pris en compte les résultats de la coupe de France, des championnats de France et des performances internationales 2024. Nos filles médaillées étaient présentes avec leur club sur les équipes et Medhi Filali a fait le championnat individuel, qu’il a gagné, ce qui est une excellente chose pour lui et pour le karaté français. Pour l’avenir, je le dis clairement, le championnat de France ne doit pas être dévalorisé, et surtout pas par nous. Le championnat de France sera une obligation, ce qui peut paradoxalement être un problème pour les clubs eux-mêmes, et même pour les entraîneurs nationaux qui ont a priori leur sélection en tête et n’aiment pas forcément les surprises. Mais nous devons prendre de la hauteur et penser à l’intérêt général du karaté français, au-delà de ces enjeux particuliers. Nous avons besoin que ce rendez-vous avec l’ensemble des acteurs concernés par la compétition nationale garde sa valeur et son sens. Notre accession au mérite doit passer par un championnat de France fort. Même pour les athlètes de haut niveau, c’est un enjeu important, parce qu’il est facile de s’enfermer dans une routine d’enchaînement d’un « Karaté 1 » à l’autre. Si tu perds à Antalya, ce n’est pas grave, tu feras mieux au Caire. Mais les championnats de France, devant son public, c’est dix fois plus de pression qu’un tournoi ! Et les championnats du monde, c’est un rendez-vous unique où l’on doit être présent malgré la pression.

« Réveiller les volcans »

« Les clubs vont aussi y trouver leur intérêt, dans une logique commune de progression des athlètes »

« Pour l’avenir, je le dis clairement,le championnat de France ne doit pas être dévalorisé, et surtout pas par nous »

Yann Baillon
Directeur technique national

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