
Michel Tournerie, retour aux sources
Alors qu’il entamait sa trente-et-unième année de pratique du kung-fu Binh Dinh, Michel Tournerie a décidé, en septembre dernier, de repartir de zéro en créant une nouvelle école d’arts martiaux. Un projet qui résume assez justement l’homme, toujours en quête de découverte et de renouveau.
« Parfois, lorsqu’il nous racontait ses histoires de jeunesse, nous l’interpelions en lui disant « Mais maître, sauter de cinq mètres c’est impossible », et il se ravisait en nous répondant « Oh oui, trois mètres alors ». » À l’instar de chaque pratiquant qui garde précieusement en mémoire la figure si particulière de son premier professeur, Michel Tournerie n’a pas oublié celui qui a contribué à forger sa passion : maître Tran Thanh (photo ci-dessous), obligé d’émigrer en France à la fin de la guerre du Vietnam, et dont les histoires flirtaient volontiers avec la légende. Né en 1954, l’homme est aux manettes du kung-fu Binh Dinh – école qu’il a fondée une dizaine d’années auparavant – lorsque Michel Tournerie fait sa connaissance. « Nous avons poussé la porte d’un tout petit club, qui n’apparaissait même pas dans les Pages Jaunes et qui se trouvait à deux pâtés de maisons de chez moi. Avec maître Tran, cela a tout de suite matché. Après une heure de discussion dans son bureau, je faisais partie du club », se remémore l’intéressé. La scène se déroule en octobre 1991, et celui qui est alors en classe préparatoire souhaite se défouler en découvrant un nouvel art martial. C’est dans l’arrière-cour d’une maison bordelaise, nichée dans la petite rue de Cazalis, que l’homme découvre ainsi le Binh Dinh, kung-fu sino-vietnamien exploitant le combat rapproché. D’une séance le vendredi soir, le rythme s’intensifie rapidement jusqu’à devenir omniprésent dans la vie du Béglais. Au point que toutes ces heures passées dans cet ancien hangar à bateaux le ramènent aussitôt à en fouler le parquet au moment d’évoquer en détails ce « dojo chinois à l’atmosphère vraiment particulière. Une salle rustique, aux immenses poutres apparentes, bordée de murs recouverts de grands miroirs et de dizaines d’armes. »
Éclectisme martial
Si cette découverte du Binh Dinh est tardive, elle est loin d’avoir lancé le parcours martial du Girondin. Une quinzaine d’années plus tôt, lorsqu’il entre en primaire, c’est le judo qui entraîne Michel Tournerie dans les dojos d’un modeste club de Bègles, dans la banlieue bordelaise, davantage connue du grand public pour son club de rugby que pour ses aspirations nippones. Rapidement, il lui préfère le jujitsu, qu’il pratique jusqu’à sa majorité, ceinture noire à la taille. Une recherche de diversité qui s’accentue encore, même après la découverte du Binh Dinh. Tai chi chuan, kali escrima, boxe thaï, capoeira, l’homme s’essaie à tout, ou presque, suivant les conseils avisés de son mentor. « Contrairement à d’autres écoles, maître Tran nous a toujours poussés à aller voir ailleurs, pour expérimenter d’autres disciplines et enrichir notre Binh Dinh », souligne Bertrand Desgranges, ancien élève de Tran Thanh et bras droit de Michel Tournerie depuis quatre ans. Un point de vue partagé par Jean-Pierre Roux, l’un de ses « grands frères » de l’école de Bordeaux. « Tran Thanh était précurseur des arts martiaux mixtes comme on en voit maintenant, confie-t-il en laissant paraître son accent chantant du Midi. Il était conscient que tout système possède ses limites, et ne nous a jamais cantonnés au Binh Dinh. Je dirais que cela nous a permis de renforcer notre capital d’efficacité martiale. » Paris, puis Toulouse après une nouvelle parenthèse bordelaise. C’est également au gré de ses lieux de travail que celui-ci complète son éventail de disciplines. « J’avais découvert le yi quan (art martial chinois, NDLR) à Bordeaux, précise Michel Tournerie. Puis, je suis parti à Paris, où Ilias Calimintzos, le responsable national du yi quan, enseignait. C’était l’opportunité parfaite pour essayer. » Pour l’homme né en terres de rugby, le coup d’essai est rapidement transformé en coup de cœur, jusqu’à devenir un art martial qu’il enseigne majoritairement aujourd’hui.
Aux origines de la discipline
« Après mon départ de Paris, j’ai gardé contact avec Ilias Calimintzos, qui m’a appelé au début de l’année 2000, m’annonçant qu’il allait partir en stage en Chine, et qui m’a proposé de le suivre. » Si le maître Tran Thanh lui avait déjà conté les bienfaits de ces stages aux sources de la discipline, rien ne vaut l’expérience sur le terrain. « Je l’ai vue comme un déclic, poursuit le père de famille. L’une des premières fois où je suis parti en Chine, je ne m’étais pas beaucoup entraîné, et je suis passé pour une bille (sic). En rentrant, ma seule idée était de m’engager plus fort pour revenir meilleur. » Un passage au nouveau millénaire charnière dans la vie de l’ingénieur aéronautique, également marqué par la retraite du maître Tran Thanh. Les années suivantes, l’homme repart dans la région de Chang Ping, cette fois accompagné de ses élèves. « C’est un catalyseur d’expérience incomparable, persiste-t-il. Là-bas, tout le monde s’entraîne, du cuisinier au jardinier, en passant par l’intendant. C’est aussi une leçon de vie à garder en mémoire lorsque l’on revient. » Un voyage aux origines de la discipline, presque introspectif, impossible à réaliser dans le cadre du Binh Dinh, tant la transmission orale de l’art en rend les sources multiples. « Deux anciens élèves de maître Tran Thanh sont allés dans la région dont il est originaire, pour tenter de retrouver des traces et des pratiquants locaux, mais c’était impossible, admet le sixième dang. Même s’il existait des arts très proches, chaque coin de rue avait son art, avec ses différences, parfois minimes. »
Le challenge Xin Dao
Un mal pour un bien, peut-être, comme l’explique Bertrand Desgranges. « Aujourd’hui, l’important n’est finalement pas d’où il vient précisément, car il n’existe peut-être finalement plus au Vietnam, et nous sommes peut-être les seuls à continuer de le transmettre. C’est en partie ce pour quoi nous continuons à enseigner le Binh Dinh. C’est un patrimoine à sauvegarder. » Après une dizaine d’années passées à la tête de l’école qu’il avait fondée à Toulouse, Michel Tournerie a tourné cette page pour ouvrir un nouveau club à Lespinasse, petite commune située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de la ville Rose. « L’année dernière, le covid a largement impacté mon club, regrette l’homme de cinquante ans. C’était l’occasion d’arrêter et de créer un autre club dans la ville où j’habite, après dix-sept ans d’allers-retours quotidiens. » Sortie de terre à la fin de l’été 2021, l’école Xin Dao sonne une étape supplémentaire pour lui. « C’est un nouveau départ, dans tous les sens du terme. L’immense majorité de mes élèves sont des débutants, de seize à soixante ans, parfois complètement néophytes dans les arts martiaux, voire même dans le sport. Il a fallu revoir entièrement ma manière d’enseigner, une première depuis plus de dix ans. C’est un véritable défi. » Qu’il saura relever sans transiger.