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Serge Chouraqui  « Le karaté, c’est vital »

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Le visage souriant, toujours tiré à quatre épingles, Serge Chouraqui a l’élégance de ne pas imposer ce qu’il incarne pourtant mieux qu’aucun autre peut-être : la grande tradition de la transmission du karaté de haut niveau, de génération en génération. Fort de ses cinquante-deux ans d’enseignement, dont vingt ans en équipe de France, le maître de la rue Daguerre dévoile ici son essentiel.

Après un tel parcours personnel, ponctué de très hauts comme la formation de quatre champions du monde, mais aussi de bas terribles comme le virus qui vous a terrassé en 2009, que reste-t-il au bout ?
La passion ! Voilà ce qui reste. Elle est là, et je dirais même qu’elle augmente encore par la nécessité de constamment faire évoluer son enseignement. Si les fondamentaux, la technicité du karaté, sont la base primaire – au sens de premier, il y a une évolution constante qui se fait par la pédagogie, par les éléments d’approche de la progression que l’on propose à la masse des pratiquants. En fait, chaque génération a inventé un nouveau karaté de cette façon. Aujourd’hui, le phénomène de société, c’est la célérité. Tout accélère, tout va très vite. Avant, on privilégiait une transmission longue et consistante. Maintenant, il faut une dynamique rapide, une variété constamment maintenue. Le public a changé aussi. Maintenant il y a les enfants, les « babies »,…

Patrick Urvoy/FFK

Êtes-vous de ceux qui disent que c’était mieux avant ?
Je dis juste que ce qui a lieu avant était nécessaire ! Mais j’aime surtout avancer sans trop regarder en arrière. Parce que, en fait, les implications des nouvelles méthodes, l’infinité des possibilités nouvelles, c’est tout simplement énorme et cela me donne un sentiment d’urgence. J’ai besoin d’apprendre, je suis constamment en recherche. C’est le devoir de l’enseignant, mais c’est aussi une obligation car le public en demande de plus en plus. Avant, les élèves étaient acquis d’emblée. Désormais, nous sommes confrontés à des gens avertis et facilement critiques, qui vivent dans un monde moderne qui les bombarde de propositions très diverses. Ils doivent constamment apprendre et être convaincus par ce qu’ils apprennent pour être satisfaits.

« Le ippon, c’est la science
et la conscience de l’instant »

Est-ce à dire que le karaté d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier ?
L’évolution constante, ce n’est pas l’oubli des bases. C’est un aller-retour entre les racines et la dimension innovante de l’enseignement. Il faut comprendre qu’une vraie évolution, ce n’est pas juste de la communication. Le bon compromis pour satisfaire l’exigence du public, c’est toujours d’approfondir pour être meilleur. Par exemple, aujourd’hui, on a compris qu’un blocage, c’est d’abord une gestuelle, qui inclue dans un même geste, une frappe possible, une saisie… On peut transformer le geste jusqu’au dernier moment. Même la dimension symbolique des choses, cela se travaille, s’approfondit. Par exemple, avant, le ippon était une sorte de stop, comme un coup de sabre. Désormais, on le trouve plutôt dans la continuité, dans l’art de continuer à élaborer jusqu’au bout. Ce sont quasiment deux conceptions du monde différentes. C’est cela le ippon, c’est la science de l’instant. C’est aussi la conscience de l’instant. Bien menés, ces approfondissements touchent à la dimension de l’esprit. Il y a toujours un lien entre ce que tu fais et ce que tu es. Quand tu libères ton geste, tu libères ta vision des choses. Comme en combat, tu ne restes pas enfermé, tu abats les cloisons pour avoir une vision plus large. Cela libère la créativité. L’ouverture technique, c’est de l’ouverture d’esprit.

Quelles qualités essentielles doit posséder le bon professeur ?
En premier lieu sans doute, la constance. Comme dirait Lapalisse, il faut de la constance pour durer et c’est le temps qui fait le tri. Il faut aussi, au-delà de la passion, une vraie générosité pour donner le plus possible à l’élève sur tout le temps qu’il nous donne. Ce n’est pas tant notre bonheur que l’on recherche que le sien. Et ce n’est pas pour nous qu’il vient, mais pour son bonheur. C’est cette générosité qui crée la complicité qui naît entre l’enseignant et l’élève. Celui qui est encore trop préoccupé de lui-même peut être un bon leader d’entraînement, mais il n’obtient pas ce lien de partage. Or, pour faire aimer, il faut aimer.
Enfin, il faut aussi beaucoup de confiance personnelle dans ce que l’on enseigne. Là encore, pour faire adhérer, il faut adhérer soi-même. Dans la profusion des offres, celui qui ne croit pas profondément à ce qu’il enseigne n’a aucune chance de convaincre. Quant à moi, j’ai toujours été persuadé que le karaté était bien ce qu’on dit de lui, une forme d’éducation extraordinaire sur tous les plans de l’être.

Le karaté est-il un bon moyen de défense ?
On y apprend à se battre. Mais cela va bien au-delà de la situation de combat que l’on imagine. Le karaté nous accompagne dans tous les moments et les périodes difficiles de la vie. Il y a une phrase attribuée à Sénèque que j’aime beaucoup : « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, mais d’apprendre à danser sous la pluie ». Danser sous la pluie, faire face à l’adversité avec élégance et maîtrise, c’est le karaté. Travailler, ne pas subir, se battre et danser avec l’esprit libre… On ne joue bien qu’avec les choses sérieuses. Tout peut s’arrêter demain, j’en sais quelque chose. Tout est fragile. Je me suis vu mourir sur un lit d’hôpital, j’étais déjà presque mort et je me disais encore que j’avais bientôt une compétition qu’il fallait préparer ! Le karaté, c’est mon oxygène et je peux dire que c’est littéral. Est-ce que c’est logique ? Est-ce que c’est raisonnable ? Je n’en sais rien. Mais je sais que le karaté, c’est vital. Quand je suis sorti de là, j’étais en miettes, mais dès que tu mets le karategi, tu es déjà un peu guéri.

Vous avez désormais 71 ans, est-ce un enjeu de prendre de l’âge pour un enseignant ?
L’âge importe peu. Et ce n’est surtout pas un prétexte pour se relâcher ou renoncer. J’ai l’impression d’être toujours un karatéka de vingt ans et je fais tout pour le rester. Par l’entraînement, les adaptations diverses, les recherches appliquées qui nous gardent vivant. Et être entouré de jeunes, c’est un atout pour le rester soi-même. Ce qui compte, c’est de continuer à rire avec eux, c’est une soupape à la vieillesse ! Tout reste au vestiaire. Sur le tapis, il n’y a que le plaisir de se défouler ensemble, de partager l’amitié. J’ai cinquante ans de moins à chaque fois. Les gens ont besoin de bonheur et c’est la responsabilité du professeur d’en montrer quelque chose. Un prof, c’est exemplaire, et peut-être surtout à ce niveau. Comme disait Paulo Coelho, « Seul celui qui est heureux peut répandre le bonheur autour de lui ».

Le professeur doit-il montrer ou se contenter d’être un exemple de ce qu’il y a à trouver ?
C’est vrai, dans la culture japonaise, on ne croit pas nécessaire de montrer car la progression se fait par d’autres biais. Chaque élève doit faire le parcours, doit redécouvrir. Mais, pour moi, ce n’est pas la culture de l’Occident. Ici, il faut montrer. Mais il faut le faire généreusement, c’est-à-dire en se concentrant sur l’élève. L’avantage, c’est que l’on peut intéresser à tout un parcours, montrer le bon geste, mais raconter aussi le début et la fin de l’histoire. Pourquoi cette technique, à ce moment-là ? Et puis, autour du geste, il y a l’attitude, le comportement général. Tu montres du vécu. Par exemple, si je montre un enchaînement complexe, tout le monde va le comprendre, parce que c’est moi qui l’ai montré ! Le sensei, c’est aussi un pouvoir de transmission. Ce serait dommage de s’en priver. Il est aussi la somme de toutes ses erreurs ! Le sensei est un raccourci, un accélérateur. Il amène à l’effort. Quand on le regarde, on doit au moins pouvoir se dire : « Quel chemin il me reste à parcourir ! ».

Quel est votre plaisir aujourd’hui, et quelle est votre crainte ?
J’ai le plaisir de pouvoir laisser un peu le centre à d’autres, à mes élèves, et de retrouver en les regardant un peu de moi avec beaucoup d’eux. Laisser l’énergie circuler avec les plus jeunes, c’est une façon d’installer de la continuité. Le pire, ce serait que tout s’éteigne. Le dojo est un lieu de vie, on y découvre la voie de tout ! J’ai formé des professeurs, des champions, des sixième et septième dans, un nombre incalculable de ceintures noires… Le dojo, c’est un lieu hors du temps où l’on se retrouve chez soi en quelque sorte, en bonne compagnie pour enseigner ou pratiquer. C’est là où il y a de la lumière… et cela ne doit pas s’arrêter.

Propos recueillis par Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Photos : Patrick Urvoy/FFK

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