
Valeurs – L’humilité
Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la pratique. Comment ? Le Mag’ a décidé de se pencher sur cet éventail de plus-values qui font le sel de la discipline. Pour ce nouvel épisode, après avoir exploré les notions de sincérité, de respect, de courage et d’honneur, abordez cette fois-ci l’humilité avec trois pratiquants passionnés qui placent cette vertu au centre du jeu.
Laurent Maerten, 4e dan, Karaté Budokan Gap (créé en 1993, 70 licenciés)
« L’humilité est une ouverture à l’autre »
« Avant d’évoquer précisément l’humilité, on peut se dire que c’est une valeur et qui rend la personne la portant digne d’estime. L’humilité requiert un questionnement permanent, centré sur soi. C’est se penser, se considérer sans indulgence. En fait, humilité et introspection sont irrévocablement liées. La question à se poser est la suivante : « ai-je bien agi ? » Si oui, cette action positive ne devra pas entraîner de ma part une satisfaction excessive et explicite auprès d’autres personnes. Si la réponse est non, je dois me demander comment je peux m’améliorer. Pour être humble, il faut d’abord faire un constat réaliste : l’humain a des faiblesses, des défauts qu’il faut accepter pour avoir l’image « la plus juste possible » de son caractère. De là, l’idée, qui est au cœur de la pratique du karaté, est de progresser en tant qu’individu vers une plus grande humanité.
Comment faire vivre concrètement cette valeur au quotidien ? C’est l’exemplarité d’être du gradé sur le tatami. C’est aussi pratiquer en compétition, qui est une formidable test pour son humilité puisque la compétition se compose de la victoire mais aussi de la défaite. Or, cette dernière aide, presque toujours plus que la victoire, à se remettre en cause et donc à progresser sur soi. Un vrai compétiteur haïra la défaite, ne l’envisagera pas tout en sachant, pourtant, qu’elle fait partie des hypothèses à l’issue du combat. Dans la vie, l’humilité est une ouverture à l’autre puisqu’elle oblige à ne pas rester sur ses opinions et exige une capacité d’écoute et d’empathie. »
Corine N’Guyen, 5e dan, Viet Vo Dao Montluçon (créé en 1957, 68 licenciés)
« Lorsque l’on est gradé, l’humilité doit être permanente »
« En tant que femme, la pratique d’un art martial comme le karaté est une formidable activité, ne serait-ce que parce que la progression de chacun se fait dans la mixité. Ainsi, il y a donc une forme d’humilité chez les hommes gradés (qui sont majoritaires dans notre art martial), vis-à-vis non seulement des moins gradés mais aussi des femmes, prompts à mettre leur orgueil de côté afin d’aider les autres, en ne voyant qu’un karatéka à aider à progresser.
Il faut aussi noter que l’échec fait partie de la progression technique. L’échec est d’ailleurs l’un des moments qui aident le plus à l’introspection, l’une des voies qui mènent à l’humilité. Lorsqu’on est gradé, l’humilité est présente en permanence : à la fois envers les autres, mais aussi envers soi-même puisque plus on pratique, plus on prend conscience de la richesse de notre discipline et de ses voies à explorer ou à perfectionner. Devant une telle perspective de travail, l’humilité s’impose d’elle-même !
À un niveau plus global, le salut par grade est une excellente mise en scène de l’humilité puisqu’il symbolise, dans sa disposition, le travail à accomplir pour les moins gradés et les responsabilités dues à son grade pour les plus gradés.
Dans la vie quotidienne, l’apprentissage de l’humilité aide dans ses relations sociales ou professionnelles. Ainsi, lors d’une discussion avec des collègues, cette valeur permettra d’éviter la réaction spontanée, parfois excessive ou peu productive, puisqu’il nous faudra d’abord analyser les propos et l’argumentation présentés. »
Thomas Dhuvettere, 2e dan, KSD Alençon (créé en 2006, 93 licenciés)
« Lucidité sur soi et humilité sont intimement liées »
« L’humilité ? Une qualité essentielle chez un pratiquant comme chez un homme. Cette valeur oblige à être à l’écoute et à savoir respecter l’autre, mais elle oblige d’abord à la lucidité envers soi. Une de mes maximes est « l’adversaire le plus dur à vaincre, c’est soi-même ». Or, si on ne fait pas l’effort d’être critique et exigeant avec soi-même, pour avoir une idée la plus objective possible de son niveau, de ses points forts et faiblesses, alors vouloir battre des adversaires, en compétition par exemple, me semble problématique. D’ailleurs, si on prend le cas de la compétition, avoir des adversaires plus forts que soi doit, il me semble, être pris comme une richesse, comme une opportunité de toujours chercher à s’améliorer, se perfectionner pour pouvoir les vaincre un jour.
En tant que karatéka, je suis très sensible au fait que le club fasse venir des champions, comme Alexandre Recchia, ou des experts, comme Jean-Pierre Lavorato. Cela évite l’entre-soi et le phénomène de microcosme qui favorise la création de certitudes qui vous font tomber dans l’orgueil. Ses personnalités vous rendent humbles de par leur savoir.
Dans la vie quotidienne, être humble, c’est selon moi de ne pas arriver avec sa science et de se forger une opinion dans l’échange et la discussion plutôt que de tenter d’imposer systématiquement son point de vue. »