

Jacques Charprenet « Continuer à décloisonner »
Chargé de mission national pour les arts martiaux vietnamiens, pratiquant depuis quarante ans, Jacques Charprenet est un homme clé du développement des AMV. Entretien.
Vous portez les AMV depuis des années, avec quel état d’esprit ? Et comment s’est-t-il façonné ?
Personnellement, j’ai commencé les arts martiaux en 1972 par le karaté. Lorsque j’ai déménagé à Marseille, j’ai découvert les AMV, et je me suis lancé dans cette voie. Mais je pratiquais quand même le karaté avec Jean Frénette puis avec Oshiro Zenei. Je suis allé chez Roger Paschy, Dominique Valéra… Une source de motivation et de progrès énorme. Vraiment une grande expérience de vie. J’ai donc pu voir les différentes disciplines et j’ai toujours eu cette vision de la pratique.
Avec quelles notions clés ?
Ouverture et liberté. Lorsque j’étais dans les AMV, on nous promettait toujours la reconnaissance des grades, des diplômes. Mais en 1989, quand j’ai vu que ça ne venait pas, je me suis remis au karaté. J’ai passé un DIF, puis un Brevet d’État de karaté 1er degré, puis un DEJEPS, puis un Brevet d’État 2e degré, et c’est comme ça que j’ai monté les échelons. Je n’ai pas attendu après ceux qui dirigeaient à l’époque cette fédération vietnamienne, qui sont des gens qui ont eu la chance dans les années 1970 d’avoir une équivalence de Brevet d’État. Ils ont développé leur école, mais pas la discipline, et ils interdisaient presque aux professeurs d’aller passer un tronc commun pour pouvoir passer un Brevet d’État après. Je regrette, je le dis, que beaucoup aient verrouillé l’activité et leur école. Moi, j’ai toujours été combatif, je crois que c’est ma nature : j’ai donc pris le taureau par les cornes, je suis allé au CREPS de Montry, et je me suis formé.
Que dire du patrimoine technique des AMV aujourd’hui ?
Je pense que la France a réussi à la fois à le conserver et à le faire évoluer. Avant, il y avait une tendance trop mystique, et une trop grande importance donnée au fait que je vienne de chez tel ou tel maître, et les écueils qui vont avec. Maintenant, beaucoup se dirigent vers le côté sportif et cela a une vertu : ils s’entraînent beaucoup et démontrent leurs techniques lors de compétitions face à d’autres écoles. Nombreux sont aussi les pratiquants qui vont faire des stages dans d’autres disciplines, comme le krav maga, le karaté mix, le full contact, le kali eskrima, etc. Et la confrontation, c’est à chaque fois un petit moment de vérité. En tant que club, il s’agit d’encourager cette pratique ouverte, c’est aussi ne pas bloquer les gens et s’enrichir, tout en gardant les pratiquants qui peuvent s’exprimer dans une autre discipline tout en restant dans leur « maison », celle de la FFKDA.
Quels ont été les principaux dossiers des arts martiaux vietnamiens des dernières années ?
Ils sont nombreux, depuis près de vingt-cinq années que je suis chargé de mission national et, en cela, responsable du développement des arts martiaux vietnamiens au sens large. Mais pour essayer de synthétiser, je citerais le dossier des homologations. De nombreux pratiquants et professeurs étaient « dans le circuit » comme on dit, parfois depuis trente ans, et ils ont rejoint la fédération au fil des années. Pour cela, il a fallu mener un long travail de recensement, d’évaluation puis d’homologation des grades et des diplômes. Un travail minutieux pour identifier région par région puis département par département qui fait quoi, quels sont les attentes et les besoins, informer, échanger, rediriger notamment vers des formations de la FFKDA. Beaucoup ont ainsi passé le Diplôme d’État, ou le TFP plus récemment, et cela fonctionne très bien.
Que doit-on comprendre de la dynamique des arts martiaux vietnamiens ?
Qu’elle est réelle, qu’énormément de choses sont faites depuis près de vingt ans pour en développer la pratique. En 2011, nous étions 16 000 licenciés AMV à la FFKDA. Depuis, il y a eu le Covid, certains ont aussi préféré prendre leur indépendance, ce dont j’ai le sentiment que c’est une erreur parce que cela se fait au détriment des AMV, mais nous sommes en train de retrouver ces chiffres et surtout de plus en plus de clubs – quelque cinq cents à ce jour – comprennent l’intérêt de rejoindre la fédération pour ce qu’elle offre : grades, formations, stages d’experts, compétitions, communication… Tout cela constitue énormément de travail et de ressources humaines. C’est en cela que ma mission, ce qui m’anime, est de nous lier tous ensemble. C’est complexe, comme dans les arts martiaux chinois, car il y a tellement énormément de styles et d’écoles, mais c’est ce « faire ensemble », dans le respect de la culture et de l’identité de chacun qui doit continuer de nous faire avancer.
En tant que chargé de mission, c’est votre message constant…
Bien sûr, parce que l’union fait la force et qu’elle est essentielle pour avoir des fédérations officielles dans chaque pays, veiller à notre patrimoine technique, avoir des compétitions de qualité, au niveau national comme international, avec des championnats d’Europe où les gens peuvent se rencontrer avant d’aller en championnats du monde. Les pratiquants de vovinam peuvent faire cela, parce qu’ils ont des structures officielles un petit peu partout. Nous devons être capables de retrouver cela aussi chez les AMV traditionnels. Le président de la FFK, Francis Didier, est pour une fédération plurielle, qui accueille différentes disciplines et c’est une force. J’entends ici ou là les clubs qui me disent que dans leur département, il ne se passe pas grand-chose, qu’ils sont en attente de davantage de communication, d’événements… Mais je leur réponds qu’il faut aussi prendre la responsabilité d’être actifs, proposer, s’engager. Il faut créer le point de rencontre. Parfois, je fais aussi de l’humour avec certains haut gradés, et je leur dis : « Tu veux un 6e ou un 7e dan, mais pour quoi faire ? Explique-moi ! Tu veux t’investir comme responsable technique dans une région ? Tu souhaites être responsable des grades ? » Le grade, ce n’est pas pour l’ego, cela demande de travailler dans le bon sens. Il faut décloisonner pour progresser et prendre du plaisir dans la pratique. Nous avons la chance de faire partie d’une fédération très bien structurée et dynamique, profitons-en.
Cet entretien est à retrouver dans le dernier numéro (OKM#15) de votre magazine digital Officiel Karaté Magazine