
Romain Anselmo – « Le kyokushinkai, l’école de la volonté »
Triple champion du monde par équipes au sein de la stratosphérique équipe de France des années 1990, entrepreneur accompli, Romain Anselmo a trouvé, dans le kyokushinkai, l’école de l’exigence et de la rigueur qui l’a construit depuis vingt ans. Un seigneur compétiteur devenu expert, et dont le mot d’ordre est de donner avant de recevoir.
Avant d’évoquer votre chemin depuis trente ans, l’engagement dans le kyokushinkai, quelques mots sur ces années 1990 et les trois titres mondiaux par équipes dont on fêtera le premier de la série, celui de 1994, en fin d’année…
Pour le karaté français, ça a été des années incroyables. Et pour nous, en termes d’aventure humaine, c’était tout aussi exceptionnel. Nous avions une équipe vraiment extraordinaire parce que nous étions tous très jeunes, avec deux cadres un peu plus âgés que nous, dont le regretté Alain Le Hétet, et que, pour nous, tout cela, c’était vraiment du bonheur pur. À cette époque, il fallait jongler avec les études, travailler à côté pour financer nos entraînements… Mais la passion et l’émulation étaient partout, ça coulait dans nos veines. Nous nous retrouvions au COK de Montpellier, autour de Francis Didier qui avait créé ce groupe soudé, avec des entraîneurs pour nous faire grandir. Nous étions la génération qui rêvait devant Bruce Lee et les vedettes de cinéma d’action comme Van Damme, nous nous entraînions dur, nous avons commencé à gagner, jusqu’à devenir champions du monde… Je sais, à le dire comme ça, cela peut paraître naïf, mais en fait c’est ce qui nous rendait forts : un engagement total, sans arrière-pensée, sans retenue. On avançait. C’était de l’artisanat, le début de la préparation physique dans le karaté d’ailleurs, mais rien ne pouvait vraiment nous arrêter.
Comment s’est passée la transition vers la nouvelle étape de votre vie ?
J’ai arrêté le haut niveau en 1998-1999 après notre troisième titre mondial, j’ai fait du pied-poing, pas mal de full-contact… Surtout, il a aussi fallu préparer ma vie professionnelle. Après avoir ouvert une salle de sport, je suis entré chez Veolia en tant que manager jusqu’en 2004, avant de racheter l’entreprise de bâtiment que je dirige actuellement. C’est en 2007 que j’ai fait la connaissance de Jacques Legrée shihan, qui m’a ouvert les portes de l’ACBB.
Une rencontre décisive ?
Oui, des choses m’ont immédiatement parlé : l’exigence, la rigueur, et une pratique d’une richesse incroyable. Jeune, je cherchais à assouvir cette envie de me prouver des choses et, pour cela, la compétition, ça a été merveilleux. L’affrontement m’intéressait beaucoup à ce moment-là et, quand on met le doigt dans le jeu de la compétition, cela devient assez addictif. Je n’aimais pas perdre, on peut dire avec honnêteté que je n’étais pas très bon perdant d’ailleurs. Auprès de Jacques Legrée, qui fête ses quatre-vingts ans cette année d’ailleurs, j’ai d’abord considéré comme une chance la possibilité de côtoyer quelqu’un qui avait connu Masutatsu Oyama sensei, le fondateur du style. J’ai trouvé la dimension du contact dans une forme de tradition et de pureté, d’efficacité aussi, un travail dans les trois distances – ce que ne permet pas le karaté sportif – que ce soit en kata, en kihon ou en kumite. C’est une école assez rigide, qui a gardé des valeurs un peu strictes on va dire, et dans lesquelles j’ai vu un chemin initiatique.

Que diriez-vous que vous y avez découvert d’essentiel ?
Une école de la volonté. J’y ai ressenti une vibration par rapport à mes attentes personnelles : travail, droiture, volonté de perfection… Ça a été vraiment extraordinaire avec, en plus, sur le plan technique, un karaté très traditionnel, ultra performant et percutant dans les combats. Je ressentais le besoin d’avoir un travail technique, de la continuité avec les katas, j’ai découvert aussi une ouverture sur le travail interne, sur la respiration, réaliste aussi… Au kyokushinkai, ce n’est pas « Venez comme vous êtes ! », c’est « Venez et on va vous proposer un cadre et un jeu ». Un jeu qui possède des règles et qui, si l’on s’y plie, nous fait grandir, nous fait du bien au quotidien.
En quoi le fait d’avoir été champion vous a aidé à creuser votre pratique ? En quoi cela a aussi peut-être pu constituer des freins ?
Au départ, il faut accepter de vider un peu la bouteille pour pouvoir la remplir. Il faut faire preuve de beaucoup d’humilité. Il y a une période où certaines façons de travailler s’entrechoquent. Et puis après, naturellement, tout se met en place et fait sens. Quand je regarde les compétiteurs aujourd’hui, je suis vraiment impressionné par toutes leurs qualités physiques. Ils sont tous tellement fluides, rapides, souples, ils possèdent une explosivité incroyable. Mais je sais que le karaté, c’est bien plus grand que ça. Il offre tout un travail interne, de renforcement, sur les articulations, sur les tendons. C’est vaste et c’est une chance. Quand on fait de la compétition, on ne peut pas aborder le reste et c’est normal. Mais il y a une vie après cela, et c’est incroyable à vivre. Il faut juste se mettre en position d’accepter et d’apprendre.

Est-ce si simple ?
(sourire) L’avantage du kyokushinkai, c’est que tu l’acceptes assez facilement parce que l’on se confronte à des règles de combat qui sont un peu différentes. Tu vas tout de suite sur des percussions dans les jambes que tu ne travailles pas, sur du travail à poings nus, au corps-à-corps, dans des distances très proches où, forcément, on subit. La remise en question est rapide et il n’y a d’autre choix que de s’engager pleinement. J’ai aussi découvert les saisies, les projections, le travail au sol… Un ensemble, ce qui fait d’ailleurs le succès du karaté mix dans notre fédération. Et pour moi qui suis vraiment karatéka avant tout, le kyokushinkai est une proposition globale d’une grande richesse.
Au-delà de la pratique, vous vous êtes vraiment impliqué dans la transmission de la discipline…
Oui, c’est dans mon tempérament, c’est une forme de responsabilité aussi, et de reconnaissance de ce que je reçois. Je suis devenu expert, j’ai la chance d’être tous les ans au Japon, pour des séminaires, d’avoir participé à quelques stages mythiques, l’hiver dans la neige. Apprendre à repousser systématiquement ses limites, oui, c’est exigeant. Dans ma vie personnelle, la pratique tient une grande place, je dois diriger mon entreprise, j’ai une vie de famille avec trois enfants, alors je me lève tôt, je me couche tard. Je suis un peu hyperactif aussi… Mais je considère surtout avoir la chance de recevoir beaucoup. Nous devons être comptables de cela : le karaté, c’est avant tout une transmission. Il faut qu’il y ait une continuité, une passation. Il est essentiel de profiter de l’expérience de nos aînés. Pour vous dire le fond de ma pensée, sous prétexte de changement, parfois, on veut oublier tout ce qui a été fait, avec le motif que l’on repart sur un autre projet. C’est une erreur. On doit remercier les aînés, on leur doit une forme de fidélité pour ce que l’on a reçu justement. C’est la règle des arts martiaux.
Le kyokushinkai est structuré au sein d’une commission, en quoi est-ce important ?
C’est l’une des réussites de la FFKaraté et, il faut le dire, de son président. Comme il a réuni les experts japonais depuis des années, Francis Didier s’est beaucoup investi, avec attention et bienveillance, pour le développement de notre discipline en France. Cette commission réunit ainsi cinq organisations. Nous travaillons en commun sous l’égide de la fédération pour organiser notre représentation, ses stages… Je peux d’ailleurs annoncer qu’à partir de la saison prochaine, tous les ans, la commission kyokushinkai organisera une coupe de France pour toutes les catégories d’âge, enfants, adultes et vétérans, ainsi qu’une coupe de France kata. Un stage zone Nord et un autre en zone Sud viendront aussi compléter notre offre de pratique.

Des évolutions tout en conservant l’esprit traditionnel de la discipline…
Oui et, en cela, nous sommes sur l’ouverture d’esprit souhaitée dans son testament par Oyama sensei. Notre karaté traditionnel, pratiqué dans nos dojos, ne cherche pas à former des champions, mais d’abord des citoyens, des hommes et des femmes qui ont quelque chose à dire. Des combattants, oui, mais avant tout des citoyens. L’ordre, le respect, l’étiquette, tout démarre de là et c’est la proposition, très claire, que l’on trouve derrière la porte de nos dojos. Dans le monde actuel, je suis de ceux qui pensent que cela peut guider des vies, a du sens et doit résonner très fort dans la société.
« Il y a une vie après la compétition, et c’est incroyable à vivre. »