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Hiroshi Aosaka « Il faut inoculer de l’esprit régulièrement »

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C’est en 1972 que cet héritier de six cents ans d’histoire samouraï, né à Tsukumishi, dans la préfecture de Oita, île de Kyushu, débarque en France pour y enseigner le budo, le shorinji kempo en particulier. Âgé désormais de soixante-dix-sept ans, le cheveu toujours noir et les appuis fermes, Hiroshi Aosaka sensei nous suggère avec le sourire une saisissante synthèse de l’essentiel à transmettre.

Sensei, vous connaissez désormais très bien la France, comment jugez-vous la différence de culture entre votre pays de naissance et votre pays d’adoption ?

Effectivement, je suis là depuis un moment, et je commence à vieillir. Je dirais que nous avons beaucoup de points communs. La France a une grande histoire et elle forme des individus qui savent se discipliner. Mais si vous me posez la question, je vous dois une réponse sincère. Je suis encore étonné par le peu de poids des principes dans la façon de vivre en France. On a l’impression que rien n’est vraiment très important à ce niveau, que l’on peut relativiser, changer d’option facilement. Les Français savent les choses, souvent avec beaucoup de pénétration, mais ne se sentent pas profondément concernés par les principes.

De quels principes parlons-nous ?

Les Japonais sont aussi les héritiers d’une très longue histoire, mais à laquelle j’ai l’impression qu’ils sont plus fidèles. Je veux dire par là que les éléments de notre éducation sociale et morale sont les éléments fondamentaux de notre vie, ceux sur lesquels nous nous appuyons et que nous approfondissons. C’est peut-être lié à notre culture religieuse… Par exemple, les enfants apprennent la propreté dès l’enfance, qui est aussi le premier des commandements shinto. Les principes dont je parle, nous les connaissons tous : fiabilité, respect, courage, politesse, gentillesse… Les budo sont une expression de la culture japonaise et, à ce titre, sont proches de ces enjeux. Le shorinji kempo n’est pas un sport, il enseigne une ligne de conduite.

© Etienne Urvoy

Mais les budo nous enseigne l’efficacité…

Ils enseignent surtout que l’efficacité, c’est potentiellement dangereux. C’est une responsabilité. Et qu’est-ce que c’est que l’efficacité ? C’est sans doute plus la capacité à exprimer de la gentillesse vis-à-vis des autres, c’est l’empathie qu’on est capable de partager avec un groupe et qui peut changer la société tout entière, c’est la qualité du contact qu’on est capable d’établir avec les autres, ce qui est aussi un élément fondamental de la culture. Le budo c’est ça, normalement. La France le sait et elle le savait avant que j’arrive. Mais parfois, c’est une évidence qu’on peut oublier. Alors il faut inoculer de l’esprit régulièrement. Le créateur du judo Jigoro Kano a très bien expliqué le rapport du budo avec l’ensemble des valeurs fondamentales, mais les championnats, l’esprit du sport, les fait parfois passer à l’arrière-plan.

Vous récusez la compétition ?

Pas du tout, nous faisons aussi des championnats en shorinji kempo. C’est bien de se confronter pour éprouver le courage et la validité des techniques. Sans la force, sans le courage, rien n’est possible. Mais le point essentiel, c’est la considération. Pas les médailles d’or, et encore moins le business et l’argent. Ça, c’est une façon d’oublier l’essentiel. C’est vrai pour les hommes comme pour les pays, mais c’est une autre question.

Ne pensez-vous pas qu’un entraînement bien mené, dans un bon esprit, suffit à faire naître les valeurs positives dont il est question ?

Pour nous, la modestie, le respect, cela s’enseigne en même temps. C’est nécessaire. Bien sûr, les progrès passent par l’entraînement sincère aux techniques et avec le groupe, mais ne rien dire des buts visés, c’est un peu comme aller à la pêche. On ne sait jamais si cela va mordre. La technique seule ne suffit pas. Il ne s’agit pas d’en faire trop, mais évoquer pendant cinq à dix minutes un peu régulièrement les idéogrammes porteurs de sens dans notre tradition japonaise, c’est une bonne façon d’éveiller et d’aiguiser l’esprit.

© Etienne Urvoy

Êtes-vous tout de même satisfait de ce que vous avez pu transmettre ? Ou est-ce l’inquiétude qui domine ?

J’ai beaucoup d’espoir dans l’avenir. Les élèves sont des trésors. Il me reste peut-être dix ans, mais je sais déjà que ma vision intérieure ne sera pas perdue. La force technique est indissociable de la force de l’esprit. La force et la délicatesse doivent aller ensemble. Nous enseignons des techniques guerrières tout en sachant qu’elles ne résoudraient rien dans la réalité d’aujourd’hui. Frapper pour se défendre, ce n’est pas très efficace, et si c’est efficace, c’est encore pire. Dans une démocratie, quand on assomme quelqu’un, il faut assumer. Le plus important de nos enseignements, l’essentiel de notre pratique, c’est l’art du lien aux autres. Se défendre dans ce monde, c’est savoir nouer des relations, savoir être en contact et apprendre à être sincère en le faisant. Les hommes calmes et modestes ne se bagarrent pas en général. Ce qui envenime tout, c’est l’égo. Alors il faut cultiver en nous la fraîcheur de la simplicité jusqu’à la naïveté et s’exprimer en tout avec la politesse nécessaire. En France quand je suis arrivé, j’ai découvert de magnifiques formules, comme : « je suis enchanté de faire votre connaissance ». Plus personne ne le dit désormais. C’est dommage.

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