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Naoki Omi « Les élèves peu doués sont comme un miroir »

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Naoki Omi sensei participait au dernier stage des experts japonais à Montpellier. L’occasion d’échanger avec lui sur des enjeux techniques et, de tirer le fil de sa parole précise et toujours plus profonde qu’elle n’en a l’air de prime abord, pour mettre au jour de véritables et puissantes leçons de budo.

Sur une intervention de stage d’experts comme celui-ci, quelle caractéristique du karaté souhaitez-vous mettre en avant ?

Il y a beaucoup de points très importants que l’on peut aborder, mais j’aime faire travailler le déplacement. Nous ne sommes pas comme des boxeurs, proches de l’adversaire. Il faut pouvoir approcher pour attaquer. Il faut donc déjà savoir se déplacer vite. Le karaté, c’est d’abord du jeu de jambes et le relâchement qui permet la vitesse. C’est aussi un travail profitable à tous les élèves.

C’est une approche par la simplicité, mais c’est aussi compliqué à sentir. Quels conseils donnez-vous pour mieux aborder cette dimension ?

Les conseils… on peut toujours en donner mais, parfois, on les répétera pendant dix ans, et certains élèves continueront à ne pas les suivre. Vous avez raison, la simplicité, ce n’est pas si simple que ça. Tout part de la capacité de relâchement, qui est plutôt une qualité acquise, à part chez quelques personnes naturellement douées, ou chez ceux qui ont une expérience d’autres sports, qui ont fait des activités physiques dès leur plus jeune âge. On le sait, toutes les disciplines l’enseignent, la rapidité, c’est de la précision de geste, de la coordination. Pour frapper vite, il faut d’abord mobiliser efficacement les muscles du bas du corps, puis ceux du haut du corps. Mais, quand on est jeune, on a le réflexe inné de la contraction. C’est instinctif, mal contrôlé. Progresser, c’est d’abord apprendre à se relâcher pour pouvoir faire les bons gestes et préserver aussi son énergie. Quand on est contracté, on s’essouffle vite.

Vous dites que les conseils ne suffisent pas toujours… Alors comment faire pour aider ?

Quand je regarde les élèves débutants, je sais immédiatement s’ils vont avoir du mal. Eux ne se voient pas… On peut dire ce que l’on veut, proposer tous les exercices, ce sera toujours difficile, ils n’arriveront pas à se corriger, surtout ceux qui commencent tard. Alors, comment aider ? J’ai envie de dire : je ne sais pas. Je préconise la patience. La répétition et le temps que l’on y passe sont les meilleurs moyens. Je peux aussi le dire : quand je les regarde, je me vois comme dans un miroir ! Je n’étais pas doué du tout, alors je les comprends très bien. J’ai mis du temps, moi aussi. On peut les accompagner en leur montrant ce qu’ils arrivent à obtenir parfois : « Là, tu étais relâché ». C’est injuste, mais certains qui n’y arriveront pas.

Mais, alors, quel est l’intérêt pour eux de pratiquer le karaté ?

Ça leur fait du bien ! Oui, c’est dommage de ne pas trouver la liberté du corps et l’esprit juste, mais c’est le chemin qui compte et le plaisir de pratiquer avec les autres. À mon âge, soixante-quinze ans, le plaisir que je prends à enseigner, c’est aussi le plaisir que mes élèves prennent à pratiquer et à apprendre, c’est-à-dire à faire ensemble, et puis après aller manger après tous ensemble. Le sujet de nos budo japonais, c’est : comment on devient un homme respectable. On a parlé de distance à combler au début de notre conversation, c’est une dimension technique, mais on peut l’étendre à la dimension humaine de la culture et de la société. Trouver la bonne distance, c’est un enjeu technique, mais aussi un enjeu mental. Sans doute que cela nous aide à percevoir à qui on a affaire. On sait immédiatement si un adversaire est bon, si un individu est menaçant ou amical, sincère ou faux. Mais c’est aussi savoir se positionner de façon générale, dans le respect et le lien amical.

Comment faire si on ne le perçoit pas par le corps ?

La liberté, c’est très bien, mais le sens de la distance, c’est aussi, chez nous au Japon, une dimension culturelle qui passe par la règle. Le karaté, c’est aussi la contrainte des règles, c’est notre contribution à la culture universelle. Je me rappelle, quand j’étais jeune, un pratiquant américain qui se plaignait qu’il « ne se sentait pas libre » sur le tapis. Spontanément, il n’aimait pas cet aspect du karaté, mais il est essentiel. Il faut se sentir libre, oui, mais dans les règles de la société, de la fréquentation des autres. C’est notre enseignement. En karaté encore plus que dans les autres modèles éducatifs de notre société japonaise, nous ne sommes pas passionnés par les gens doués. En Occident, on leur donne beaucoup d’attention car ils peuvent peut-être devenir très forts. Au Japon, on a tendance à penser qu’ils n’ont pas appris à faire beaucoup d’efforts, qu’ils seront dépassés par la suite et qu’ils finiront par abandonner. C’est pour cela que les premières années sont dures, autant faire passer rapidement le message et faire le tri. On privilégie ceux qui ont la qualité d’endurance mentale nécessaire pour se transformer par une pratique soutenue et exigeante sur le plan des règles.

C’est un modèle rigoureux…

C’est sans doute vrai et peut-être ne convient-il pas tout à fait à la France, bien qu’elle apprécie et comprenne la culture japonaise. Le karaté japonais apprend à se sentir bien face à l’autre, en harmonie avec lui. C’est notre modèle général au Japon, le premier et le dernier des enseignements. Et chez nous, on ne risque pas d’être volé ou agressé dans la rue. La police n’est pas nécessaire ! Vous savez, nous sommes un petit archipel d’îles au bout du continent asiatique, secoué par les typhons, les tremblements, les incendies. Nous avons besoin les uns des autres. Quand on voit dans le métro de Tokyo tous ces gens s’endormir quasiment sur l’épaule de leur voisin, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas peur, qu’ils ne risquent rien, qu’ils se sentent en sécurité avec les autres. Au début, en France, je m’endormais dans le métro ! Je n’ai jamais été volé, mais j’ai tout de même perdu cette habitude.

Propos recueillis par Emmanuel Charlot / Sen No Sen

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