
Maul Mornie « Des clés pour agir, penser et vivre »
Originaire du sultanat du Brunei, micro-état situé au nord de l’île de Bornéo et coincé entre l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines, Maul Mornie, quarante-cinq ans, expert dans l’art du Silat Suffian Bela Diri (SSBD) revient sur son parcours et la philosophie qui guide son enseignement à travers les stages qu’il anime aux quatre coins du monde.
Racontez-nous vos débuts dans le silat…
J’ai découvert le silat à douze ans par l’intermédiaire de mon grand-père, dans mon village, à la campagne, qui se trouve au centre du pays. Comme beaucoup, j’étais un enfant avec trop d’énergie et j’avais besoin de me discipliner. Un jour, ce dernier m’a interpellé : « pourquoi ne focaliserais-tu pas ta vitalité et ta concentration en pratiquant notre art martial traditionnel ? ». Avec un entraînement quotidien en fin d’après-midi puis mes devoirs à faire, j’avais trouvé là, grâce à lui, un excellent vecteur pour canaliser mon dynamisme débordant (sourire). Contrairement au judo ou au karaté, il n’y avait pas de ceintures qui actaient ma progression et je n’avais pas de copains grâce au silat. C’était autre chose. Dès le début, j’ai intériorisé cette pratique non pas comme un loisir mais comme une « voie de la discipline ». Discipliner mon corps, par la posture, discipliner mon mental avec des valeurs profondes : la rigueur, le souci de précision.
Vous vous revendiquez du silat traditionnel ?
Tout à fait. Je vais faire une analogie. Vous avez le karaté traditionnel d’Okinawa puis le karaté dit « sportif ». Et bien, c’est exactement la même chose pour nous. À Brunei, le silat est considéré comme un art martial traditionnel, où chaque village possède son propre style. Et puis vous avez le silat « sportif », unifié et mis en forme par les quatre fédérations majeures d’Asie du sud-est : Indonésie, Malaisie, Singapour et Brunei.
Le silat traditionnel n’a rien d’original dans son essence puisqu’il recouvre les mêmes objectifs principaux que tous les arts martiaux : la self-défense mais surtout la défense de votre famille et de vos biens. L’ADN du silat brunéien est lié à l’histoire de ma terre : un pays fait de villages sur pilotis, avec des hommes vivant les pieds dans l’eau puisqu’il y a de nombreuses rivières. Il est donc plus vertical, avec une position du haut du corps plus haute que dans les autres pays, comme en Indonésie par exemple. Il procède aussi bien de la main vide (mains nues) que de la défense contre des attaques au couteau ou à la machette.

Votre parcours vous a mené au Royaume-Uni pour vos études. Qu’y avez-vous découvert ?
Je m’y suis rendu car les règles sociales de Brunei veulent que vous soyez diplômés d’une université anglophone pour ensuite revenir travailler au pays. Je suis donc parti en 1999 au Royaume-Uni, à Cardiff précisément, pour des études d’ingénierie mécanique. Quand j’y suis arrivé, c’était un peu comme devant un buffet : il y avait du karaté, du jujitsu, du taekwondo, de l’aïkido, etc. Mais pas de silat. Finalement, j’ai choisi de faire du jujitsu traditionnel, pour une raison précise : le professeur avait des qualités pédagogiques remarquables, une capacité prodigieuse à la transmission.
Il ne cherchait pas à nous faire un cours ésotérique sur la culture de son art mais à nous apprendre les mouvements de base avec des explications où la logique tenait une place fondamentale. Avec le recul, je peux affirmer que ce professeur m’a appris à faire apprendre. Est-ce un hasard d’avoir choisi le jujitsu ? Avec le recul, l’évidence veut que non puisque le thème de mes études et le jujitsu avaient un socle commun : la mécanique et ses logiques de fonctionnement. (sourire)
Quel est le message clé que vous souhaitez transmettre lors de vos interventions ?
Ne pensez pas l’art martial comme uniquement un art martial mais comment un guide pour votre vie quotidienne. L’art martial vous donne des clés pour agir, penser et vivre dans la société : avoir des objectifs à atteindre et mobiliser des compétences – concentration, effort, assiduité… – pour cela.
Et au niveau technique et mental ?
Cela dépend du public en face de moi. Pour un stage comme celui du week-end dernier, j’insisterais essentiellement sur : les déplacements, la biomécanique et la posture. Reste que tout cela n’est possible qu’avec une condition physique minimale. Sans cela, vous n’aurez pas la coordination, qui est un élément capital du silat. Au niveau de l’état d’esprit, je répète à mes élèves de ne jamais juger trop vite. Mon enseignement est progressif. Je pars toujours des bases. J’essaie de penser mes interventions où chacune d’entre elles apporte une ou plusieurs informations, comme un puzzle. Or, cela peut en rebuter certains qui voient cela comme une perte de temps. C’est une erreur. Le travail des bases est toujours bénéfique, surtout lors d’un stage de plusieurs jours.

C’était votre premier stage en France ?
Tout à fait ! J’ai été très heureux de pouvoir intervenir devant des pratiquants qui appartiennent à la fédération de karaté. On sent l’envie et l’engouement ici. Mais je dois le dire, j’étais un peu nerveux aussi. (rires)